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Article paru sur le Quotidien d'Oran du Jeudi 28 Juin 2012 que vous pouvez consulter également sur les liens suivants:- en format pdf: http://fr.calameo.com/read/00037044647a6eb0e234d
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Au
cours d’un long week-end passé dans le monde paysan, j’avoue avoir redécouvert un
autre univers presque à part avec ses propres règles et ses méthodes désuètes.
J’ai appris énormément de choses en un peu de temps resté sur le terrain. Une
autre dimension totalement différente de la ville avec ses problèmes, ses
attentes, ses corvées et ses espoirs. Un monde qui se lève très tôt et qui
travaille très tard. Un monde qui nous nourrit et qui bosse inlassablement de
jour en plein soleil tapant de l’été comme de nuit en plein froid hivernal surtout
lorsqu’il est rémunéré et reconnu à sa juste valeur. Il ne rechigne pas devant
l’effort pourvu qu’il en soit justement récompensé de son labeur assez fourni.
La
notion du temps n’existe pas chez lui. C’est tout à fait normal qu’il peut
arriver et attendre deux heures avant un rendez-vous sans qu’il ne fulmine, qu’il
ne dénigre ou qu’il ne montre une quelconque saute d’humeur. Je dirais que les
ruraux sont plus paisibles devant l’autorité que leurs homologues de la ville.
Ils consentent à la discipline à un seul sens. Ils ne cherchent aucunement à rouspéter
comme ceux des villes malgré qu’ils en soient à la traîne par rapport au reste
de la société.
J’ai
aussi compris pourquoi ils votent en masse lors des élections en pesant très
lourdement sur les issues des scrutins. Ils ne veulent en aucun cas bouleverser
l’ordre établi et indiqué. Ils ne vont rarement à contre-sens d’un destin à
l’avance programmé.
ARCHAÏSME
CONTRE MODERNISME
Ils
ne connaissent ni Facebook, ni Google Earth, ni Mailing List, ni encore moins entendent
parler de prévisions des récoltes qui utilisent les données satellitaires en
labourant et en moissonnant grâce aux GPS équipant les machines modernes aux
calculs à deux chiffres près après la virgule. Ils sont à la marge du
développement dans un monde agricole largement dominé par l’archaïsme
technologique pour un pays qui était considéré il y a à peine un demi-siècle
comme le grenier de l’Europe.
Notre
pays possède d’énormes potentialités agricoles mais ce sont les moyens de la
formation et de l’assistance technique qui font défaut dans un monde où le
niveau d’instruction est très largement au dessous de la moyenne. Pourtant
notre pays aspire à une indépendance alimentaire mais sans une politique
adéquate et planifiée, le rêve ne pourrait être nullement permis.
L’ATTENTE
DU CIEL
Toute
l’année donc, c’est l’attente de probables nuages qui daignent lui venir au
delà de l’Atlas. D’abord, après la campagne des labours-semailles, notre
agriculteur a tout le temps les yeux rivés sans cesse vers le ciel. Il ne
compte que sur sa clémence. Un ciel brumeux lui donne de l’espoir, un ciel gris
foncé lui fait frotter les mains en plein mois de décembre. Un mois de janvier
vers-glacé et ce sont tous ses souhaits qui s’envoleraient sèchement. Une
semaine pluvieuse le fait rêver et le revoilà plein d’enthousiasme. Un mois
sans gouttes de pluies, et c’est le doute d’une perte pré-déclarée qui
s’installerait dans la durée. Un mois de mars pluvieux ranime tous ses espoirs,
le fait bondir d’une joie intérieure dissimulée en son sein et le fait sauter de
bonheur vers le 7ème ciel. Après le mois d’avril, il n’en veut que
du soleil pour faire bien mûrir son fruit. Une fois debout, c’est la période
des cueillettes qui s’annonce plus que prometteuse si elle arriverait à terme
après de moult sacrifices.
Ces
dernières semaines, à forte raison, c’est la période de la campagne des
moissons avec une année exceptionnelle où l’on s’attend à une récolte nationale
record estimée proche des 60 millions de quintaux à tel point que notre pays
n’envisage pas d’importer des céréales, fait très exceptionnel, pour cette année
2012, quoique certaines dépêches rapportent le contraire (*). Mais pour faucher
sa récolte, l’agriculteur doit effectuer le parcours du combattant dès l’aube
jusqu’au crépuscule. Il peut rester la plupart du temps sur les champs jusqu’à
très tard dans la nuit sans aucun répit ni la moindre lassitude. Il lui arrive de
rester debout jusqu’à 20 heures par jour, voire encore plus durant cette
campagne où sa récolte est tout le temps menacée par les aléas de la nature.
Une cigarette jetée dans ses champs et c’est la besogne d’une année qui pourrait
partir en fumée. Un orage déversé en plein mois des moissons et c’est le grain
qui pourrait pourrir dans son épi ou c’est le différé d’une récolte tant espérée.
VOUS
DÎTES ASSISTANCE ?
Devant
un monde agricole rythmé par les climats et les saisons, en face l’administration
concernée continue de fonctionner selon la cadence horaire des banquiers. Au
lieu d’accompagner sans relâche les paysans dans cette campagne, elle préfère
ne travailler bureaucratiquement qu’aux environs de 8 heures par jour dans les
CCLS (Coopératives des Céréales & Légumes Secs) pourtant elles recrutent
plein de travailleurs saisonniers. Effectivement, ces locaux n’ouvrent leurs
grillages que vers 7 ou 8 heures du matin et en les refermant sitôt dès 17 ou
18h. Les agriculteurs, chargés de leur récolte, qui n’ont pas pu passer les barrières,
doivent attendre toute la nuit aux abords des dépôts avec tous les risques
qu’ils encourent. Ils font une chaîne infernale. Imaginez un peu ce que cela provoque
comme une queue longue d’une moyenne d’un kilomètre de camions à l’intérieur
d’une ville. Et cela peut durer tout le long de la saison.
Certes,
les CCLS travaillent durant les 7 jours de la semaine pendant cette période mais
nullement 24h sur 24h comme les agriculteurs qui doivent courir sans relâche pour
arriver à remettre leurs céréales. Par ailleurs, il y a des privilégiés qui
déposent leurs récoltes à la célérité de la lumière mais les non-resquilleurs doivent
patienter de longues heures pour enfin parvenir à leur tour. Il faut noter que
le transport d’une récolte peut demander parfois plusieurs allers et retours des
camions entre les champs et les dépôts. A chaque fois, c’est donc le calvaire
garanti. Quant au payement de leur dû, c’est une autre paire de manches avec
ces histoires des insuffisances de liquidités à la BADR.
LA
LOI DES MACHINES
Pour
moissonner ses parcelles, l’agriculteur doit dénicher une moissonneuse-batteuse
disponible pour ramasser son blé. Lorsqu’une machine fait son apparition dans
les parages, c’est la ruée pour se l’arracher surtout que nos agriculteurs ne
parlent pas le même langage dans un cadre organisé. Les patrons des
moissonneuses dictent alors leurs lois en imposant leurs règles et leurs
diktats sans omettre le prix à ne point débattre. Ils deviennent alors les maîtres
des lieux qu’il faut nourrir et les blanchir gracieusement. Au moindre accroc,
ils peuvent vous quitter en vous laissant courir derrière eux. En somme, c’est eux
qui font la pluie et le beau temps, vous vous résignez donc à vous taire et à
subir davantage leurs exigences en étant plus que jamais domestiqué. C’est la
loi de la jungle appliquée comme au temps de sa splendeur.
A la
fin, ils retournent chez eux débordant d’oseille et d’un chargement de blé amassé
de l’offrande à faire envier un agriculteur de la région. D’un autre côté, les
pauvres à qui le 10ème des récoltes leurs reviennent de droit sont les
ignorés dans l’affaire. Quant aux prix pratiqués, c’est aux alentours de 3000
DA de l’heure de la moisson et parfois encore plus dans certaines régions.
Mais
par contre, ils n’ont aucune notion du temps, ils vous fixent un rendez-vous
vers par exemple 14 heures pour le début de la moisson pour ne venir que quelques
jours après non moins sans sollicitations et sans aucune excuse ni la moindre
justification. Gare à vous ! Si vous revenez avec 5 minutes de retard au
moment où ils arrivent sur place. Vous devez les attendre pour l’éternité mais eux,
pas une seconde de moins. Vous devenez un de leurs otages de la longue liste
qui attend. Le même principe s’applique pour les camionneurs comme pour les
botteleuses. C’est un monde qui vit dans un autre espace du temps.
ENTRE
LE RÉEL ET LE VIRTUEL
Quant
à celles appartenant aux CCLS, je n’ai pas vu la moindre machine sillonner la
région où j’étais. Je me suis renseigné qu’elles existent bien mais c’est au
même prix fixé par l’administration qui s’aligne sur les prix pratiqués du
privé mais avec la bureaucratie en plus et l’information en moins. Aucune trace
sur le terrain d’une possible assistance technique de la part des services
agricoles, ni d’ailleurs des membres de l’union des agriculteurs. Ils ne font
leur apparition que lors du renouvellement par élections de ses structures. Pourtant,
on a entendu un autre discours au sien des radios locales où tu as l’impression
que les agriculteurs allaient être accompagnés dans cette campagne comme des
seigneurs mais la réalité du terrain est tout autre, complètement différente et
contradictoire. Il y a une différence de taille entre la réalité et le discours
virtuel des autorités.
Idem
pour le transport, heureusement que les camionneurs privés sont là pour pallier
à la situation catastrophique qui sévit, moyennant des prix excessifs selon la
loi de l’offre et de la demande. C’est la rareté et aussi le temps passé dans
la queue qui provoquent sans doute ces hausses des prix. Les CCLS ne sont là
que pour cueillir le fruit. Il faut quand même noter les efforts consentis par
les pouvoirs publics sur les prix d’achat pratiqués par rapport à ceux des
marchés internationaux (par exemple pour le blé dur, c’est 4500 DA le quintal
au maximum comme 40 dollars (3200 DA) le quintal sur le marché mondial).
Mais
face à une telle désorganisation, les agriculteurs ne cherchent qu’à satisfaire
leurs propres intérêts au dépend de ceux de la collectivité. L’intérêt général
est totalement banni de leur vocabulaire. C’est l’intérêt individuel qui prime
d’abord. D’ailleurs, c’est rare de les voir regroupés au sein de coopératives
pour défendre leurs intérêts communs où l’union pourrait constituer une force. Comme
toujours, c’est l’individualisme et l’égoïsme qui prônent le plus dans ces cas
là. C’est chacun pour soi et Dieu pour tous.
L’OUVRIER
SAISONNIER AGRICOLE : CET OUBLIÉ DE LA NATURE
Quant
à l’ouvrier agricole, c’est le laissé pour compte. Il se trouve au bas de
l’échelle. S’il se fait de plus en plus rare dans nos campagnes, c’est qu’il existe
quelque part une injustice. Il ne dispose ni d’une couverture sociale ni d’une
éventuelle retraite. Il travaille presque à 100% au noir. Pour recouvrir ses
droits, il faut encore attendre peut-être d’autres générations. Lorsque son
patron n’a plus besoin de lui, il le jette comme on le fait pour une serviette
même s’il a travaillé chez lui durant des décennies. Si par malheur, il
tomberait malade, heureusement pour lui que la solidarité de son entourage immédiat
est là pour subvenir tant bien que mal à
ses besoins.
Pourtant,
la majorité des grands propriétaires terriens continue de bénéficier
directement ou indirectement des largesses de l’état et des aides de tous
genres comme en témoignent les crédits accordés et les dettes des 4400
Milliards de centimes effacées il y a quelques années. Les services étatiques
concernés devraient intervenir en mettant un peu d’ordre et imposer à ces
derniers une organisation moderne pour stabiliser et former une main d’œuvre agricole
qualifiée dont le pays en a grandement besoin. Les aides ne devraient revenir
qu’à ceux qui se conformeraient aux lois du travail. Il faut noter que cette
main d’œuvre qui a été plus ou moins formée a émigré sous d’autres cieux tels que
ceux de l’Espagne où elle fait énormément le bonheur des agriculteurs de ce
pays.
UN PROBABLE
SECTEUR CRÉATEUR D’EMPLOIS ?
On
ne peut concevoir que le secteur de l’agriculture qui est aussi stratégique que
les domaines de la défense, de l’énergie ou de l’éducation, soit géré de cette
manière tant administrativement que techniquement. On parle de l’amélioration
du rendement de la céréaliculture mais avant d’arriver à relever ce défi, il
faut une formation à la base doublée d’une stabilisation et d’une pérennisation
du métier. L’agriculture pourrait être une formidable créatrice d’emplois qui
pourrait dépasser en perspectives sur le long terme tous les autres secteurs. C’est
aussi le seul secteur possible après les hydrocarbures sur lequel notre pays
pourrait miser pour créer de la richesse en produisant davantage des produits
agricoles et pourquoi pas en les exportant à l’instar de nos voisins marocains
et tunisiens qui nous dépassent de très loin sur ce registre. Ça y va du
développement, de la survie, de la modernité, de la croissance, de l’avenir et
de l’indépendance alimentaire du pays.
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