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Cet article est paru dans les colonnes du Quotidien d'Oran du jeudi 28 Mars 2019 sous les liens suivants:
-à la Une en format pdf zippé: http://www.lequotidien-oran.com/pdfs/28032019.zip
-en format html: http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5274893
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Par
Mohammed Beghdad
« Lorsque
le peuple est pris à la gorge, il finit par éclater. »,
Paco
Ignacio Taibo II, écrivain, journaliste, militant politique né en 1949.
Le peuple algérien écrit
depuis le 22 Février 2019 l’une de ses plus belles pages de son histoire. Une
révolte disent les uns mais la suite est venue pour affirmer que c’en est une
véritable révolution. Cette page trouve son origine, du moins pour les vingt
dernières années, en 2008 après que les parlementaires aient fait sauter le
verrou des deux mandats présidentiels de la constitution et surtout le climat
délétère qui s’en est suivi dans le milieu des affaires avec ces détournements qui
ont pris des proportions alarmantes et qui ont défrayé la chronique sans que
les autorités puissent lever le petit doigt. Au contraire, elles ont tout fait
pour protéger leurs protégés. Le peuple avait commencé à encaisser très mal
cette dérive qui s’est répercutée sur leur amer quotidien. Pendant ce temps là,
il ne trouvait refuge que dans le football en exprimant ainsi son patriotisme
débordant et en attendant de prendre sa revanche lorsque son heure sonnera.
En Novembre 2009, lors du
match d’appui à Oum Dorman au Soudan entre l’Algérie et l’Egypte pour le compte
de la qualification en coupe du monde de football, le monde entier avait
découvert avec émerveillement et parfois avec admiration le « One Two
Three, Viva l’Algérie (mais avec la prononciation : Algirée) » avec
tous ces supporteurs algériens qui avaient drapé toutes les rues d’Algérie aux
couleurs vert-blanc-rouge et défilaient également dans toutes les villes de
France, de Belgique ou de Montréal. Les jeunes cotisaient pour se concurrencer afin
de battre le record de la confection des plus grands drapeaux. L’Algérie avait
vécu des jours patriotiques inimaginables et c’est là que la semence commençait
à féconder.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a
pas un match qui se joue dans le monde sans qu’on n’aperçoive pas le drapeau
algérien. Que ce soit à Madrid, à Barcelone, à Londres ou à Turin, le drapeau
algérien est présent quoique que l’Equipe Nationale n’y joue pas. A tel point,
qu’il est devenu un symbole indésirable dans les stades de France car il
faisait concurrence aux banderoles encourageant les équipes présentes.
Pourtant, ce n’est qu’un morceau de tissu mais il dérangeait pour des raisons
historiques.
Est venue quatre années plus
tard la seconde qualification au Brésil et l’engouement qu’elle avait suscité
sur la terre du sport roi au pays du roi Pelé. L’Algérie ne pouvait mieux rêver.
Les algériens avaient une fois de plus montré leur amour pour le ballon rond et
pour le pays à travers leur drapeau qui est devenu leur marque déposée.
Pendant ce temps, les
gouvernants du pays se réjouissaient que les jeunes soient détournés par le
football qui a trouvé là tout son sens d’opium du peuple. Ils n’ont pas
accompagné comme il se doit cette jeunesse avide de liberté qui n’a trouvé que
le stade pour exprimer sa passion indéfectible pour ses clubs et pour son pays
lors des matchs de l’Equipe Nationale. Et puis les choses commençaient à
tourner mal. La violence dans les stades avait alors atteint son paroxysme lors
des matchs entre les équipes locales. A chaque fin de match, la bagarre entre
supporteurs était assurée. Un spectacle désolant sur toute la ligne. A tel
point que de nombreux matchs se déroulaient à huis clos. Bien sûr que cette
situation avait son explication ailleurs. Elle est avant tout sociale et politique.
Les autorités feignaient de l’entendre et continuaient dans le bricolage.
Pour combler ce vide sidéral,
les supporteurs les plus fidèles avaient pris les choses en main pour encadrer
le reste des fans par des chants comme ceux des clubs de l’Usma et du Mca
d’Alger, d’El-Harrach et du CRBelouizdad pour ne citer que ceux-là. Des
chansons poignantes et très dures à écouter et qui n’ont rien à avoir avec le
foot. Elles expriment le ras-le-bol et le marasme de la jeunesse, le chômage,
le piston, la hogra, la harga, la dilapidation des deniers publics et des
richesses du pays, la drogue, …Que des problèmes qui ne peuvent trouver des
solutions qu’à travers une démocratie, une politique sociale équilibrée et une justice
libre.
Et c’est ainsi que les jeunes
commençaient à prendre confiance en eux, en leurs capacités. Ils ont compris
que les solutions ne peuvent surgir que de leurs rangs s’ils continuent ainsi à
se battre. L’essentiel est de ne pas abdiquer devant des autorités qui sont
devenues aveugles, sourdes et aphones, exactement comme les trois légendaires fameux
singes.
Et ce qui est arrivé arriva.
En effet, Les jeunes qui sont dans la tranche d’âge à 45% dans la tranche 0-25
ans, à 55% (0-30ans) et à 85% (0-50 ans) ne peuvent pas être gouvernés pas 8%
de la population de plus de 60 ans et encore pas par moins de 1% (plus de 80
ans). La nature et les lois mathématiques des histogrammes impose une
fourchette moyenne pondérée suivant les tranches d’âge et encore moins
lorsqu’on prend en compte le poids de la maladie et un président qui ne s’est
pas adressé à la nation depuis mai 2012 et qui voulait rempiler jusqu’au mois
d’avril 2024 si Dieu lui prêterait vie.
Toutes ces monumentales
bévues, encouragées et applaudies de toutes leurs mains par les courtisans zélés,
ne pouvaient être que la goutte qui allait faire déborder le vase. Trop, c’en
est trop ! Les algériens ne pouvaient pas encore avaler cette nouvelle couleuvre
qu’ils ne supportaient pas déjà en 2014. Ils se disaient que peut-être ces gouvernants
malvoyants allaient avoir honte pour l’Algérie qui voulait avoir sa place dans
le concert des nations et qu’ils n’allaient pas rajouter une autre humiliation
à ce peuple qui n’a que trop enduré. Mais sans le dernier sursaut du peuple, le
pays allait s’enfoncer davantage dans la médiocrité et la régression.
Lors d’une visite en France
où je me déplaçais souvent en covoiturage, la première question que me posaient
les gens, c’était au sujet de la présidence du pays. Croyez-moi, que c’était
insupportable pour moi. Je ne savais quoi répondre. Je ne me sentais pas venir
du tiers monde mais d’une autre basse catégorie de ce monde.
Donc, les chants des ultra-supporteurs
dans les stades allaient donc déborder dans la rue et le titre de « La Casa
del Mouradia (la maison d’el Mouradia) » est devenu un véritable
second hymne des jeunes algériens qui l’ont appris tous à travers les réseaux
sociaux, et aussi d’autres tubes comme « Babour ellouh (la barque de
bois) » et « Chkoun sbabna ? (Qui est notre cause ? ou Qui
est notre problème, ?)» ou « Echaab el maghboun (le peuple
misérable) ».
Le chant des Ouled el Bahdja
(supporteurs de l’Usma) « Ultima verba (derniers mots en latin) » que
je n’ai découvert en toute sincérité que ces tous derniers jours à travers une
reprise « La liberté » par un jeune chanteur algérien qui fait un
tabac dans le monde et qui s’est donné Soolking comme nom d’artiste. Cette
chanson a fait plus de 25 millions de vues sur Youtube en quelques jours seulement
sans compter les millions de partages. J’avoue que je n’ai jamais entendu
parler de cet artiste que ces jours-ci pourtant c’est une star mondiale des
jeunes algériens de moins de 40 ans. Si moi à mon âge je n’ai pas connu ce nom
que dernièrement, comment voulez-vous que la route de ces jeunes puisse croiser
celle qui nous gouverne ?
L’osmose entre les stades et
la rue a trouvé son apothéose en ce jour historique du Vendredi 22 Février 2019
après que des appels aient été lancés à travers les réseaux sociaux. Les gens
se demandaient qui est-ce qui est derrière ces invitations. Les fervents de
cachir criaient comme d’habitude à la main étrangère mais ont oublié de mentionner
que ce sont eux la véritable cause en plus de leurs parrains. L’Algérie avec toute
sa profondeur allait étouffer et s’est éclatée comme un seul homme à la face de
ses pourfendeurs. Le mur de la peur vient de tomber. C’était presque un tabou. L’Algérie
ne pourra que se porter mieux pour son avenir où tous ses enfants seront
associés et non comme elle l’est actuellement avec un conglomérat de décideurs
et encore plus grave lorsqu’ils le font dans l’opacité la plus absolue.
D’autres marches sont venues pour confirmer que le peuple veut vivre en paix en
voulant comme une condition sine-qua-non se débarrasser du système qui l’a mené
vers l’abîme.
Il veut même participer au
développement de son pays comme en témoigne le nettoyage des rues après les
manifestations. Une première mondiale dont on ne peut se lasser de cette flatterie.
Et puis tout cela, accompagné avec l’humour à l’algérienne et des slogans époustouflants
d’intelligence. Ce peuple dont les gouvernants ont cru l’avoir définitivement enterré
a germé comme une graine (pour reprendre un slogan brandi fièrement dans nos
rues) et s’est soulevé uni pour faire bouger les lignes et veut jouer
pleinement son rôle dans la vie de tous les jours du pays et mérite de se faire
gouverner par des élus légaux et légitimes à la place de ceux qui l’ont
longtemps méprisé et le sous-estimer. Nos martyrs ne peuvent que dormir
tranquille si cette troisième génération ira jusqu’au bout de ses aspirations
indélébiles dans l’appel du 1er Novembre 1954.
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