=================================================================
Article paru le Jeudi 18 Septembre 2014 sur les colonnes du Quotidien d'Oran sous le lien suivant:
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5203393
======================================================================
Jeunes étudiants à l’université
au milieu des années 70, fiers comme on était de notre statut d’alors, on
faisait beaucoup de rêves, même énormément car on avait assez de projets en
tête. On voulait relever tous les défis. Rêver d’acquérir de grands diplômes
que nos parents les aspirer pour nous, eux les analphabètes qui n’ont jamais
connu l’école ni le moindre alphabet. Ensuite, ils nous voyaient occuper dans
le futur les postes les plus enviés et auxquels le pays nous y préparait dont
jamais ils ne s’y imaginaient lors de leur jeunesse sacrifiée. Ils avaient
l’expérience de la vie mais c’était insuffisant pour bâtir un pays, un état à
la mesure de l’extraordinaire révolution qui venait d’arracher l’indépendance
presque les mains nues mais décidés et animés d’une volonté de fer.
Une fois la liberté
acquise, il s’agissait de construire le pays avec cette génération qui avait
juste 20 ans en 62. Beaucoup d’encre a coulé sur ce faux départ qui nous a
coûté très cher par la suite. Forts de leurs bagages intellectuels et
universitaires car ils avaient l’avantage d’être scolarisés à temps, les
enfants de l’indépendance pouvaient alors prétendre prendre la relève dès le
début des années 80 car eux aussi espéraient reprendre le flambeau au moment convenable
comme ce fût le cas de leurs aînés mais le pays a connu une véritable panne par
un conflit de générations qui ne disait pas son nom. L’attente fût très longue
à se dessiner jusqu’à cet affrontement
de 88 où l’Algérie avait évité le pire. Les années qui suivirent ont retardé
l’échéance repoussant à chaque fois les échéances.
Je me rappelle, au
sortir de la fin des études universitaires qui étaient limitées à la fin des
années 80 qu’aux seules licences et DES (Diplômes d’Etudes Supérieures). A
l’époque, si mes souvenirs sont bons, il n’y avait ni les diplômes de Magistère,
ni ceux du Doctorat, qui se préparaient dans les 3 grandes universités du pays.
L’occasion était toute bonne pour une très grande partie des étudiants
algériens d’aller étudier sous d’autres cieux, côtoyer leurs collègues des
autres universités étrangères et connaître d’autres aventures et expériences au
sein des deux blocs politiques rivaux, ceux de l’occident et ceux des pays de
l’est.
Le pays, malgré son
manque de moyens, sa précarité et sa pauvreté par rapport à nos jours, offrait
aux étudiants de bonnes bourses d’études au point où tous les impétrants qui
rentraient au pays après la fin de leurs cursus, se permettaient de faire un
déménagement matériel. Il est vrai que la pénurie dans le pays battait son
plein où il fallait courir toute la journée pour satisfaire ses besoins tant
matériels qu’alimentaires de tous genres. Enfin, bref mais le désir était trop fort
pour construire un pays à la mesure de nos espérances.
Les étudiants algériens
étaient donc partis pour une grande partie d’entre-eux en France pour des
raisons historiques, linguistiques et culturelles, découvrir de nouveaux pays
tels que la Grande Bretagne, les Etats Unis d’Amériques, l’URSS, La Belgique,
l’Allemagne Fédérale (RFA), l’Allemagne démocratique (RDA), la Tchécoslovaquie
(scindée depuis en deux pays : Tchéquie et Slovaquie), la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la
Pologne, la Yougoslavie (actuellement
divisée en 7 pays), la Syrie, l’Egypte, pour les étudiants envoyés pour
préparer des diplômes d’ingénieurs par les grandes sociétés de naguère
qu’étaient Sonatrach, Sonelgaz, Sonelec, Sonarem, Sonacat, Sonatiba, etc…Enfin
toutes les entreprises qui commençaient à l’époque étatique par Sona. Les
ingénieurs étaient donc recrutés avant d’avoir terminé leurs études ! Le
pays avait grand besoin de toutes les compétences et dans tous les domaines. Je
me rappelle des camarades qui annulaient à la dernière minute leur départ pour
un pays pour être pris par une autre société nationale pour partir le lendemain
dans d’autres directions qu’ils croyaient plus attirantes.
Arrivés sur place, en
plus des études, la recherche de la culture prenait une grande part de notre
temps. Tous jeunes, nous étions passionnés par la connaissance de notre
histoire surtout la plus récente dont on ne connaissait au pays que des bribes
de la version officielle où tout était parfait et sacré. On sortait tout juste
de l’époque de Boumediene pour entrer dans celle de Chadli, notre histoire
était balisée de toutes parts. J’avais appris de bouche à oreille qu’il
existait d’autres livres écrits par des
plumes françaises dont la plus connue était l’historien Yves Courrière, presque
interdit en Algérie mais sans doute pas pour la Nomenklatura qui régnait.
Donc, la première
grande curiosité était de dénicher les 4 tomes consacrés par cet auteur à la
guerre d’Algérie. Je les ai trouvés à la bibliothèque générale de l’université.
Une fois prêtés et assoiffés d’histoire comme l’étaient la plupart des jeunes
de l’ère socialiste, j’ai dévoré à la célérité de la lumière le premier tome
« Les fils de la Toussaint » avec ses presque 400 pages en passant d’affilée
deux nuits blanches. J’avoue que j’avais éprouvé beaucoup de frissons à chaque
lecture d’un chapitre, en laissant tomber de mes paupières de chaudes larmes en
lisant chaque nom ayant écrit cette belle histoire de la guerre d’Algérie.
Aussitôt emprunté, aussitôt
lu et rendu, que me voilà pointer à la bibliothèque pour prendre le second tome
« le temps des léopards », avalé d’un coup. Le troisième tome
« le temps des colonels » (allusion sans doute aux 3 B (Boussouf,
Bentobbal et Belkacem) me tendait déjà les bras. C’est en parcourant celui-ci
que j’ai eu mon premier grand choc en apprenant péniblement que Abane Ramdane
était liquidé par ses frères d’armes. J’ai passé ces jours péniblement car
n’ayant pas supporté ce premier viol de la mémoire collective.
Si je puis m’exprimer
ainsi, moi qui croyais jusqu’ici à la version officielle étalée à la une du
numéro d’El-Moudjahid du 24 au 29 mai 1958 avec ce titre « Abane Ramdane
est mort au champ d'honneur » !
J’ai compris ce jour-là pourquoi l’histoire de la guerre d’Algérie, côté
algérien, tarde encore à voir le jour. Il fallait s’attendre à d’autres
révélations qui feraient très mal au martyr dans son repos éternel. J’avais
fini amèrement le quatrième et dernier tome « Le temps des
désespoirs » qui illustrait assez bien ce que fût alors mon état
d’esprit.
Lorsque j’étais en
Algérie, aucun parti politique, autre que le FLN, n’était autorisé. Tout le
champ politique était cadenassé. A l’étranger et plus particulièrement dans les
pays occidentaux, on découvrait autre chose, tout à fait le contraire. Des
partis d’oppositions qui s’alternaient à l’exercice du pouvoir. Et j’ai eu
l’occasion de vivre ce fameux mai 81 qui avait vu la gauche accéder à la tête
de l’état français après plus de 23 maigres années qui dataient de la crise
algérienne. Il est vrai que pour nous les algériens, la gauche de 54 à 58 était
au pouvoir au moment du début de la guerre d’Algérie. Guy Mollet, Mendes
France, François Mitterrand et leurs amis étaient aux commandes et n’avaient
laissé que de très mauvais souvenirs à nos ascendants. Ce n’est pas à cause du
bourrage des urnes qu’elle n’a pas pu arriver à ses fins mais c’était la volonté
des électeurs français jusqu’à ce jour de printemps de cette génération Mitterrand.
A 20 heures pile,
l’effigie du nouveau président apparaissait sur les écrans des télévisions non
pas après le dépouillement des urnes mais bien avant, suite aux sondages
effectués par différents instituts dans une centaine de bureaux de vote
représentatifs éparpillés à travers tout le pays. Le ministre de l’intérieur
viendrait par la suite plusieurs heures après tard dans la soirée que confirmer
en affinant ces résultats. Tout le monde les reconnaîtrait, pouvoir comme opposition.
Jamais, on n’entendait parler de bourrage. Pourtant, on n’était pas encore à
l’ère ni de la parabole et ces milliers de chaînes de télévision, ni de
l’informatique, ni du téléphone portable et de l’Internet et de ces actuels
médias électroniques. Mais, l’exactitude était au rendez-vous.
Si aujourd’hui au pays,
malgré l’utilisation de toutes les prouesses technologiques on ne peut donner
les résultats à 20 heures au soir des élections, ce que d’autres pays
pourraient le faire il y a 33 ans, c’est que quelque part ces outils
médiatiques sont contradictoires avec le trucage des élections et le bourrage
des urnes. Ces scandales à répétition qui portent atteinte aux institutions du
pays tout en régressant dans la crédibilité.
En tant qu’étranger, il
fallait vivre la joie de ces milliers de gens sortir fêter cette victoire. Nous
nous étions mêlés à leur bonheur. La France venait de se délivrer de la droite.
L’alternance a fait beaucoup de bien à la démocratie. On avait assisté sur les
3 chaines de télévision à d’intenses débats d’idées entre intellectuels et
politiciens. Franchement, on était ébahi par le niveau atteint contrairement à
chez nous où tout était tabou. On espérait vivre cela au bled pourquoi pas au
bout de deux décennies, une fois que le pays aurait formé une certaine élite,
démocratiser l’enseignement jusqu’aux fins fonds douars du pays avec la
naissance d’une nouvelle classe politique. Une passation de pouvoir entre
l’ancienne génération et les nouvelles qui commençaient à montrer le nez aurait
assuré une pérennité dans la douceur et dans la tranquillité.
Rentrés au pays, on
vivait une sorte de contradiction. Au pays, vous vivez avec un esprit fermé. A
l’étranger, vous vous permettez toutes les libertés et toutes les critiques. La
première chose qu’on cherchait sur vous aux frontières, ce sont les journaux et
les livres où on parlait de politique du pays. Si jamais, on découvrait un
document parlant en mal sur les hommes du pouvoir, la condamnation risquait
d’être lourde assortie de traître à la nation et j’en passe. Il fallait donc garder
la gueule fermée sinon les conséquences seraient graves pour vous. Comme
possibilité politique, vous n’avez qu’un choix avec l’article 120 qui faisait
fureur si vous voulez faire carrière dans la hiérarchie de votre établissement.
L’état n’a quand même pas envoyé en formation un robot programmé mais un
étudiant qui ne demande qu’à s’épanouir, qu’à apprendre et comprendre comment
le monde évolue.
Je me rappelle comme si
c’était aujourd’hui ces courageux militants du PRS (Parti Révolutionnaire
Socialiste) du défunt Mohamed Boudiaf qui venaient recruter dans les campus
universitaires et un peu plus tard ceux d’Ahmed Ben Bella. Formatés comme nous
l’étions, beaucoup plus par la crainte d’être cueillis au retour, nous les
évitions comme la peste pourtant on savait tous que Boudiaf était parmi les
fils de la Toussaint pour reprendre les termes d’Yves Courrière. Ils étaient
tout le temps traqués. On devrait les surveiller comme le lait sur le feu. On
n’en voulait pas de contamination. Mais cette contradiction de vivre à la fois
dans un pays démocratique toi qui viens d’un pays clos, il fallait la vivre en
observateur mais pas en acteur, nous traversait dans tous les sens. Au bled, on
ne supportait plus cet étouffement des idées. On faisait semblant de tout
approuver en jouant un mauvais rôle, ou bien il fallait se taire et se ranger mais
tout bouillonnait à l’intérieur.
Nombreux, sont ceux qui
n’étaient pas rentrés au pays, craignant pour leur avenir. Une grande majorité
a préféré retourner au bercail quelles que soient les conditions car il y avait
une dette à payer, envers ton pays et ta conscience. Parmi ces derniers,
quelques années après en n’étant pas satisfait des conditions de travail, ils
avaient vite déchanté en faisant le chemin inverse. On se demande ce que serait
le pays aujourd’hui s’ils n’étaient pas découragés par le système politique
hermétique de ces années. La première génération a donc connu diverses fortunes
mais elle n’a jamais pu prendre le relais. L’occasion ne lui avait jamais été
donnée comme il se devrait. Elle était figée sur sa place en n’ayant pas la confiance
nécessaire. Pourtant, elle était bardée de diplômes et de compétences si on la
compare à sa devancière.
La seconde génération
pointe déjà depuis longtemps son nez, elle n’a pas eu autant de chance que la
première. 52 années après, on se demande de ce qu’aurait été l’Algérie de maintenant
si le relais du passage du témoin aurait été fait à temps. Seul un
renouvellement de générations peut permettre à un pays de vivre son époque,
d’évaluer son présent pour préparer un meilleur saut vers le futur et en
sachant partir la conscience tranquille et le devoir accompli au moment opportun.
J’ai l’impression que l’Algérie a raté un important rendez-vous, un virage
cruel pour son avenir. Rajeunir les gouvernants d’un pays, c’est aussi garantir
une meilleure reproduction de son futur. C’est aussi revivifier sa matière
grise, augmenter ses potentiels et générer l’énergie d’un pays dont la moyenne
d’âge est d’environ 27 ans comme le montre une récente étude. Tout n’est pas
encore perdu, ce n’est que partie remise pour asseoir une pérennité constante
au pays. Il suffit juste que la volonté politique existe.
=============
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire