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Cet article est paru dans les colonnes du Quotidien d'Oran du jeudi 11 Janvier 2018 sous les liens suivants:
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Ce
qui s’est passé en ce 03 janvier 2018 à l’intérieur de l’enceinte du Centre
Hospitalier Universitaire Mustapha Bacha d’Alger, m’est resté à travers la
gorge, d’abord en tant qu’ancien membre de la direction nationale du syndicat
CNES (Conseil National des Enseignants du Supérieur) et ensuite en tant que
simple citoyen d’autant plus que la profession de médecin a été toujours perçue
dans notre société comme un noble métier dont pourrait ambitionner un algérien pour
sa progéniture et d’être une immense fierté pour sa famille et une
respectabilité sans limite de son entourage.
Tellement
le titre de Docteur a été toujours senti, dans notre mémoire collective
algérienne, comme assimilé à la médecine, à tel point que l’on ne pouvait point
le prévoir pour d’autres disciplines et ce, sans diminuer le mérite des autres sciences
à l’instar des Mathématiques, de la Physique, de la Chimie, de la Philosophie
ou de la de Sociologie pour ne citer que celles-là. Tout cela pour vous
signifier la place notoire qu’occupe le praticien dans notre quotidien
puisqu’elle est liée à ce qui touche le plus cher à l’être humain : sa
santé. Le patient a toujours vu en son praticien un véritable confident à qui
il pourrait tout lui divulguer pour le guérir de ses douleurs, encore plus, un
humaniste à qui il devrait lui faire en toutes circonstances une confiance
aveugle et suivre ses indispensables conseils notamment lorsque le docteur voue
une déontologie exemplaire au sermon d’Hippocrate.
C’est
pour cela que les images diffusées de ce rassemblement des Bac+7 jusqu’à+9,
tabassés à travers les réseaux sociaux ont choqué plus d’un. Elles ont été ressenties
profondément comme une dérive intolérable envers la crème de ce pays. Je ne
vais pas décrire toutes les dérisions qui ont suivi sur la toile de ces
agressions des futurs spécialistes aux blouses blanches maculées de sang. Une indignation,
une solidarité et une sympathie presque sans faille se sont propagé comme un
trainée de poudre et qui ont fait un buzz indescriptible jusqu’à provoquer des
émissions télévisées en Algérie et à l’étranger sur le sujet.
Par
leur lourd silence et surtout par la lenteur de leur réaction comme il leur arrive
le plus souvent, les autorités ont été mises dans une position d’hors-jeu peu
enviable avec ces clichés qui ont fait en un laps de temps le tour de la terre
et qui ont certainement conforté une épouvantable copie de l’autoritarisme ambiant
dont notre pays pourrait s’en prémunir si toutes les conditions aient été
réunies et les ponts du dialogue aient été établis à temps.
Je
ne voudrais en aucun cas être à la place d’un parent d’un de ces médecins matraqués
et dont la tête et le visage ensanglantés, la blouse blanche souillée et son
portait dévalué se propager à la célérité de la lumière dans les médias. Je n’ai
sans doute jamais imaginé de le voir dans cette impensable situation. Moi qui a
fait des sacrifices énormes afin qu’il puisse satisfaire son vœu ainsi que le
mien de le voir vêtu d’une blouse blanche et mon nom de famille inscrit dessous
ajouté à la profession de Docteur. Après qu’il ait été lauréat au baccalauréat
avec une mention honorable, il avait enfin réalisé son souhait le plus cher
d’accéder aux prestigieuses études de médecine. Et je ne vous parle pas des
souffrances de ces nuits blanches qui n’en finissaient pas. J’ai enfin donné au
pays un praticien au pays et non un fardeau pour être traité de la sorte. J’ai
fourni tant que j’ai pu un citoyen modèle soucieux de son avenir et par
ricochet celui du pays.
De
par la formation qu’il a eue pour aspirer à être parmi l’élite de ce pays et en
plus de l’éducation que je lui ai donnée depuis sa tendre enfance et de la
persévérance dans les études qu’il a eue, je n’ai à aucun moment envisagé ce
cauchemar de la scène épouvantable de ce 3 janvier puisse arriver à mon fils et
qui est à marquer désormais d’une pierre noire dans ma vie. Je ne vais pas vous
décrire l’état psychologique affreux dont lequel se trouve mon protégé. Déçu,
je crains qu’il suive un jour le même chemin que ces plus de dix mille médecins
qui se sont exilé à Paris pour ne plus revenir exercer chez soi. Mais je lui
dis que son avenir est ici. La lutte à laquelle tu y crois mérite d’être menée
ici pour le progrès de ce pays.
Par
ailleurs, un syndicat ne peut aller vers un débrayage que si toutes les portes
aient été toutes bouchées et laisser la place à tous les débordements quoique
que je doute que 200 médecins résidents, de surcroît universitaires, ayant le
sens de la réflexion et de l’analyse, ourdissent d’aller vers un affrontement
prémédité. Au contraire, instruits qu’ils sont, ils voulaient certainement à
travers leur collectif autonome porter à la connaissance de l’opinion publique
leur ras-le-bol puisque dans leurs revendications, ils réclament à avoir plus
de moyens matériels et humains dans les centres sanitaires et hôpitaux pour
exercer leur profession. Je ne pense pas qu’un seul algérien puisse trouver
illégitime une telle revendication sauf s’il s’agit de quelqu’un qui pour
arracher une simple dent, prenne l’avion avec en poche sa prise en charge et sa
carte de résidence ou muni de son second passeport et atterrisse dans les deux
heures qui suivent dans un hôpital parisien.
De
toutes les façons, si un point ait été inscrit dans leurs requêtes, c’est qu’il
ait été débattu profondément au niveau de leurs assemblées générales. Par
exemple, l’amendement du service civil mérite d’être revu, corrigé et reformulé
sur la table des négociations entre toutes les parties sans porter préjudice
aux malades. J’ai lu quelque part que tous les points de discorde allaient être
résolus dans le cadre de la nouvelle loi sanitaire. Si c’est vraiment le cas,
tous les partenaires sociaux devraient être associés à l’élaboration de ce
texte. Afin que la confiance puisse régner, des garanties consignées dans des
procès-verbaux dûment cosignés devraient être données avec des échéances claires
et précises. Mais le fait que les résidents soient reçus que durant une dizaine
de minutes par leur tutelle ne plaide pas en faveur de la construction d’un
dialogue serein et peut ainsi accentuer la crise. Il me semble que la culture
d’un dialogue franc et direct ne soit pas encore inscrite dans la feuille de
route des autorités à moins qu’on se trompe d’analyse.
Au
lieu de cela, on constante que le mouvement enclenché prend de jour en jour de
l’ampleur avec le boycott des examens de spécialité. Des manifestations des
résidents de Constantine et d’Oran ont pris le relais en espérant donner un
nouveau souffle. Les autres villes hospitalo-universitaires sont aussi à
l’écoute de la suite à donner à leurs protestations. Le bras de force risque de
durer et n’est pas prêt de fléchir sauf si les autorités concernées
décideraient de prendre les choses en mains et entameraient des négociations pour
le bien de tout le monde pourvu que la santé du citoyen serait au milieu de
toutes les préoccupations et que les médecins verraient leurs revendications
satisfaites et que les intérêts du service public seraient sauvegardés et
renforcés.
La
démonstration de force de la manifestation nationale organisée par le CAMRA
(Collectif Autonome des Médecins Résidents Algériens) le Mardi 8 Janvier 2018 à
travers les boulevards d’Oran semble donner un souffle inépuisable à ce
mouvement et au syndicalisme en général surtout loin de toute récupération
politique et partisane et où seuls les intérêts socioprofessionnels priment. Il
y a longtemps qu’on n’a pas vu une telle mobilisation qui s’est déroulée sans
qu’aucun incident ne soit provoqué. Ils étaient venus par leurs propres moyens de
tous les coins d’Algérie, ni par bus et le repas payés aux frais du trésor
public. Ils étaient tout juste animés de leurs propres convictions, tous unis
derrière leur syndicat plus que soudé. Cela prouve que l’espoir est permis
lorsque les syndicats et les formations politiques ne connaissent par de
mouvements de redressements programmés.
Les
points exprimés par le collectif des médecins résidents démontrent du malaise
dans lequel se débat la santé en Algérie. Un algérien sensé ne pourra renier
les efforts qui sont consentis dans ce secteur mais ils restent très en-deçà
des moyens et de la position que veut occuper le pays comme un des leaders
incontournables du continent africain et l’un des pays émergents si j’ose dire.
Il suffit d’y aller au hasard dans un hôpital quelconque du pays pour se rendre
compte que nul n’est invulnérable, peut tomber malade et se retrouver dans de
tels mouroirs. Les images qui de temps à autres circulent à travers le net nous
laissent perplexes surtout en matière de propreté (je veux dire plutôt saleté)
et d’accueil des malades gisant à même le sol contrairement aux cliniques
privées qui assurent au moins la propreté mais votre portefeuille est mis à
rudes épreuves sans la protection sociale sauf en de rares exceptions.
Il
est inconcevable qu’après plus de 55 années de l’indépendance que le personnel
politique, les différentes autorités locales et nationales et les plus fortunés
pensent d’abord au moindre petit pépin à aller se soigner en premier lieu en
France et l’idée d’aller faire une consultation dans un hôpital public
n’effleure jamais leurs esprits. Tant que ce doute subsiste, la santé publique,
un des trois piliers fondamentaux du pays à l’instar de l’éducation et de la
justice, ne pourrait jamais se redresser sans une véritable et pérenne volonté
politique.
Je
ne terminerai pas ce papier sans rendre hommage à une très chère personne, hospitalo-universitaire
qui est disparu en ce même 3 Janvier et qui a été un voisin apprécié, un
collègue d’université exemplaire et un ami disponible en toutes circonstances,
en l’occurrence le regretté Professeur Senouci Bradaï. Le Doyen de la faculté
de médecine de l’université Djillali Liabès de Sidi Bel Bel Abbès qu’il fut,
est parti après qu’une maladie l’ait emporté et ait frappé soudainement sa
famille, ses amis et ses collègues. Que Dieu apporte le remède pour les apaiser
dans leur deuil et que l’Université algérienne et la santé comblent le vide
laissé. Allah Yerhmou. Sincères condoléances aux siens.
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