dimanche 18 octobre 2009

Contre l’oubli : Dr Mohamed BENCHEHIDA, une année après.

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-Article paru dans le quotidien d'Oran du Dimanche 18 octobre 2009:

-Dans Algérie News de ce même jour.

-Et dans ElWatan du Dimanche 25/10/2009:

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« C'est dans le souvenir que les choses prennent leur vraie place. »,

Jean Anouilh, auteur dramatique et metteur en scène français (1910-1987).

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Je me rappellerai toute ma vie de cette journée ensoleillée du samedi 18 octobre 2008. Ce triste jour est dorénavant gravé dans ma mémoire, dans mon inconscient, aussi dans celui de tous les universitaires du pays. C’est un jour de deuil que je qualifierai de national pour ma petite personne. Et pour cause: la perte tragique de Dr Mohamed Benchehida dont l’âme et le cœur ont cessé de battre laissant derrière lui toute la communauté universitaire en émoi, abasourdie, ne comprenant par le drame qui venait de la frapper de plein fouet.

Ce malheureux jour, j’avais rendez-vous vers 8h30 exactement au CNMS d’Alger pour être hospitalisé dans ce centre afin de subir une lourde opération programmée pour le 27 octobre. En prenant la route vers 3h du matin de Mostaganem, je ne doutais un instant que je reviendrai à Mostaganem 22 jours après avec l’ablation terrible d’un de nos valeureux collègues qui a tant sacrifié pour cette naissante université Algérienne. Il avait 57 ans, l’âge mûr de la réflexion et de l’apport.

Avec la circulation routière et les encombrements aux portes d’Alger, je n’ai pas pu arriver à temps à l’établissement hospitalier. À 200 mètres exactement de l’arrivée au quartier dit Chevalley et aux alentours de 9h30 passés, je reçois un coup de fil inévitable de mon collègue et ami Mohand Ould Ali m’annonçant que notre collègue Mohamed Benchehida venait d’être agressé dans son propre bureau à coups de couteaux par une personne, un étudiant selon les premiers témoignages. J’étais resté bouche bée, assommé et étourdi par cette horrible dépêche. Je tremblais et les larmes commençaient à s’égoutter de mes yeux. J’ai oublié ma maladie et tout le reste. C’était mon affliction qui prenait le dessus.

Je n’arrivais pas à imaginer ce qui vient de se passer. Est-ce une hallucination ? Suis-je en train de vivre un cauchemar ? Non ranimes-toi mon ami Beghdad, c’est la réalité qui vient de s’abattre sur ton université.

Quel malheur ! Je commençais à téléphoner à gauche et à droite à mes amis et collègues en suivant pas à pas le déroulement des péripéties. Du site de la faculté des sciences jusqu’à l’évacuation de notre blessé vers les urgences de l’hôpital de la ville.

Trois quarts d’heure après, c’était le coup de massue. Je reçois l’appel foudroyant qui me porta l’estocade et me vida de mes forces. Tout s’est brusquement passé trop vite comme dans une fiction. Au bout du fil, mon collègue, ami et aussi voisin, Rabah Chadli, d’un ton très grave m’annonça brutalement: Mohamed Benchehida: Allah Yarhmou ! Je suis resté quelques instants sous le choc. J’avais l’air perdu et sonné. Je ne savais quoi dire, quoi réfléchir, quoi faire. J’étais dans l’attente de mon admission à l’hôpital au hall du 3ème étage juste en face des blocs opératoires où je devais subir l’opération dans 9 jours. Je voulais être à Mostaganem. Je ne pouvais malheureusement rien faire à 350 kilomètres. Je me sentis ligoté. Tout ce que j’ai pu faire, c’était d’alerter promptement les collègues et les amis.

Ce qui m’importait le plus au monde à cet instant précis, c’était d’être aux côtés de mes collègues qui sont en train de subir l’irréel, de souffrir dans notre chair l’impensable . Et moi, pendant ce temps, les larmes n’arrêtaient pas de couler de mes yeux.

Quelques heures après, telle une traînée de poudre, toutes les universités du pays étaient au courant de la tragédie qui vient couronner toute la violence installée et tant décriée ces dernières années dans nos établissements prenant des proportions effroyables par cette extrême action ignoble. Les malades autour de moi à l’hôpital, étaient autant que moi, mutilés et suivaient l’actualité sur tous les plans. J’ai transformé l’hôpital en un second état-major. Les pauvres patients me faisaient des remarques sur mes incessants appels et ma haute voie qui les dérangeaient dans leur quiétude et leur sommeil. Je n’ai cessé de m’excuser mais c’était plus fort que moi. J’ai passé 3 jours infernales avec la lecture des unes des journaux et les résonances de l’extérieur.

Les appels fusaient de partout, d’Alger, d’Annaba, d’Oran, de Tizi Ouzou, de Tlemcen, de Sidi Bel Abbès, de Constantine, de Bejaia, bref de tous les établissements du pays et en dehors me questionnant sur la confirmation ou l’infirmation de la folie meurtrière qui s’est abattue à l’intérieur même d’un des lieux du savoir. Les rédactions des journaux sont sur le qui-vive, les établissements universitaires en état d’effervescence à l’écoute de Mostaganem, les autorités en alerte. L’université de Mostaganem en ébullition. Des chaînes de solidarité se formaient partout.

Le téléphone était collé à mon oreille depuis le matin jusqu’au soir où j’arrivais finalement à joindre, après de multiples tentatives, Mansour Benchehida notre collègue et aussi le frère aîné du défunt. Je vous avoue que j’ai énormément apprécié sa dignité, sa discipline, son sang-froid, sa profonde humilité, ses déclarations apaisantes à la presse ainsi que sa tenue extraordinaire en tous sens devant tant de malheurs. Il est vrai que c’est un homme, de lettres et de culture, épris d’un profond humanisme dont la valeur s’est multipliée en ces moments douloureux. Lorsque je lui ai demandé l’état de l’épouse et des orphelins de Mohammed, il m’a pleinement rassuré tel un patriarche veillant sur toute sa famille.

Ils sont venus de partout, notamment d’Oran, de Sidi Bel Abbès, de Tlemcen, d’Annaba, d’Alger, de Tiaret, de Saida et d’ailleurs. Même Tizi Ouzou était présente malgré l’éloignement et figurez-vous, on notait la présence exceptionnelle d’une dame venue d’Annaba en la personne de notre collègue Madame Hanoune ! « Il y a mort d’homme ! Il faut absolument que je viennes à Mostaganem pour être aux côtés de mes collègues et rendre visite à la famille du défunt » : m’a-t-elle lancé instantanément au bout du fil, le matin du drame. Les liens de compassion et de solidarité se sont retissés et ressoudés entre les enfants de l’université Algérienne.

Ce qui vient de toucher l’université de Mostaganem pourrait affecter n’importe quel autre établissement. La preuve, quelques mois après, c’était autour de l’université de Sétif de goûter à l’atrocité par la perte d’un de nos étudiants assassiné à coups de couteau. Je ne cite même pas les cas de plusieurs agressions perpétrées contre des enseignants dans un grand nombre d’établissements universitaires du pays. La presse nationale en fait souvent écho et continue de le faire à chaque fois que ce genre de dépassements est signalé.

La communauté universitaire de Mostaganem avait tenu des assemblées générales continues ponctuées par 3 journées de deuil et par la rédaction d’une déclaration de non violence à l’université, rédigée par un groupe d’enseignants et d’étudiants, mise en ligne sur le site de l’université et signée électroniquement par des enseignants et par un grand nombre de personnes de différents horizons.

Cette déclaration fût lue et adoptée à l’unanimité, le 16 décembre 2008, en présence de toute la communauté universitaire et des autorités locales de la wilaya. En ce jour, le nouvel auditorium du site 7 de Kharrouba est baptisé. Il portera désormais le nom du Dr Mohamed Benchehida. La promotion des enseignants promus aux grades de professeurs et maîtres de conférences de cette même année portera également le nom du défunt Dr Mohammed Benchehida.

Quant au niveau national, la communauté universitaire est toujours dans l’attente de la charte universitaire promise par le ministère de tutelle mais dont l’ardeur s’est refroidie au fur et à mesure de l’extinction des moments chauds. Ce qui importe le plus à la communauté universitaire, c’est l’éradication des sources profondes de la bête immonde qui ont prémédité l’acte final.

Quelques semaines, après ma convalescence, je suis allé à maintes fois sur le site où s’est déroulé le meurtre mais franchement par manque de courage, je n’ai pu aller jusqu’au lieu exact comme si je voulais l’effacer définitivement de mes souvenirs. Mais la réalité me rattrape, elle est bien présente en moi. Elle ne me quittera à jamais.

Comme je n’avais pas pu faire le deuil tout seul car absent le jour de la catastrophe, c’est à travers ce modeste papier que je me suis fait la promesse et le devoir de le faire solennellement en commémorant, à ma manière, ce malheureux 18 octobre.

Un hommage au collègue, au physicien, à l’ami et au frère Mohammed Benchehida. Ce 18 octobre ne pourra dorénavant passer inaperçu si le souhait de tous est de construire une université digne du savoir, ouverte et tolérante et avec l’affirmation haut et fort: plus jamais ça !

Reposes en paix Mohamed, tes collègues de Mostaganem et d’ailleurs n’abandonneront jamais le flambeau et le lourd fardeau que tu nous as légués entre les mains.

Surtout pour le souvenir et contre l’oubli.

Inchallah à la prochaine commémoration.

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