Par Mohammed Beghdad
“Ask not what your country can
do for you, ask what you can do for your country”.
“Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous,
demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays”.
John Fitzgerald Kennedy
[1917-1963] (discours
d’investiture du 20 Janvier 1961).
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Depuis presque une semaine, je me suis replongé
dans la guerre d'Algérie en suivant presque tous les jours d’abondantes émissions
spéciales sur la chaîne thématique française "Histoire", avec des
images qui vous font vivre chronologiquement tous les évènements, tous les
détails qui ont caractérisé cette héroïque révolution et qui est restée un
exemple à suivre pour tous les colonisés en quête de liberté et de justice à
travers le monde. Je me sens de plus en plus fier d’appartenir à ce pays qui a
enfanté cette révolution qui a marqué d’une pierre blanche l’histoire du siècle
dernier.
À chaque fois qu’on revisite cette période
cruciale de l’avenir de notre pays, on mesure de plus en plus la grandeur de
cette révolution qui ne s’était pas contentée de provoquer la chute de la 4ème
république française mais de causer une crise profonde au sein de son armée, la
5ème puissante au monde, qui s’était parachevée par un coup d’état, inimaginable
pour un pays membre du conseil de sécurité de l’Onu, commis par quatre de ses principaux
généraux et non des moindres, partisans de l’Algérie française soutenus et
poussés dans leurs aventures par les nostalgiques européens d’Algérie qui
voulaient dans leur fuite en avant et leur bras armé l’Oas (Organisation armée
secrète) mettre l’Algérie à feux et à sang en la laissant à genoux à leur
départ précipité mais la détermination et la destinée des algériens était plus
forte que jamais.
La proclamation de l’indépendance a été suivie
durant de nombreux jours par d’immenses fêtes où c’était la liesse populaire légendaire
dans tout le pays tandis que la course au pouvoir battait son plein avec la
crise de l’été 62, sans aucune consultation de ce peuple, pourtant le principal
héros de la guerre et détenteur de sa volonté, et où les frères de combat qui
sortaient d’une longue lutte, s’étaient allés jusqu’à s’entretuer pour la prise
d’Alger.
Heureusement que le cri profond du peuple,
plein d’amertume et de chagrin avec son fameux appel : « Sept ans, ça
suffit ! » qui avait mis fin provisoirement aux hostilités des uns et
des autres. C’était la première blessure post-indépendance mais malgré cela, la
solidarité des algériens qui voulaient mettre debout un pays digne et plein de
promesses, mettaient promptement, sans aucune arrière pensée, la main à la
poche en participant sans réticence aucune ni la moindre réserve au fameux « sandouk
ettadamoun » pour renflouer les caisses de l’état, quasi-vides en 62, et
faire démarrer le pays.
Ce geste généreux des algériens, faut-il le
rappeler a été fait sans aucune contrepartie, prouvait à quel point ils étaient
prêts à tous les sacrifices pour le progrès du pays pourtant ils étaient très
pauvres à cette époque et donnaient tout ce qu’ils avaient en leur possession comme
quincailleries précieuses en bijoux, en argent, en nature, etc…Ils le faisaient
avec un amour profond et stimulés d’une confiance aveugle et totale en leurs
dirigeants quoique ces derniers soient venus au pouvoir par un coup de force.
En somme, ils ne souhaitaient pas que le colon d’hier se réjouissait de leurs
divisions. Ils étaient toujours les héros contrairement à ceux qui avaient
voulu faire parler les armes au détriment de la raison. Ils étaient également occupés
à panser leurs blessures de 132 années de privation, d’avilissement, du
dégradant second collège et de leur humiliant statut d’indigènes, d’êtres
inférieurs.
L’important était de recouvrer sa liberté.
C’était un autre consentement que de se taire devant cette légitimité usurpée
par la force des armes et en totale contradiction avec le solennel appel du 1er
Novembre 54. Ils faisaient spontanément la chaîne en longues processions pour
offrir au pays leurs biens dans d’incroyables parades où ils se rivalisaient pour
avoir la palme de la symbolique contribution au trésor public. Ils donnaient
plus à leur pays qu’ils n’en recevaient rien au retour. Pour emprunter le titre
d’un article que j’avais lu il y a quelques temps, ils considéraient l’Algérie
comme une patrie à construire et non pas comme un butin de guerre à dévorer.
Après chaque épisode regardée presque pieusement
sur la chaîne « Histoire », je me réveillais en sursauts de ma
soucieuse méditation et suis transposé dans le temps à aujourd’hui, et je
constate douloureusement ce que nous avons dilapidé du crédit révolutionnaire
engrangé durant des années de lutte et qui n'a pas été fructifié au seul profit
du pays à cause de la primauté des intérêts et des ambitions personnels des
gouvernants qui se sont succédés à la tête du pays. Une preuve, ce qu'on a fait
du FLN, qui était la bête noire du colonialisme. Il ne s’agit pas ici dans ce
papier d’enfoncer le clou mais de tenter d’éveiller les consciences en sortant
de la virtualité et en découvrant la réalité. Nous aurions pu soulever des montagnes
si nous étions restés sur la ligne de 62 en mettant l'Algérie sur de bons rails
et rejoindre aujourd'hui les pays qui étaient au même niveau que nous il y a
plus d’un demi-siècle. Quels amers regrets !
Nous revenons à ces temps-ci où les algériens
sont devenus beaucoup plus riches. Si les martyrs revenaient, ils ne croiraient
pas leurs yeux. Je suis sûr que les algériens ont une qualité de vie, de loin
meilleure que celle des richissimes colons d’hier. Mais elle n’est pas due à
l’effort et au labeur. C’est grâce à la rente pétrolière qui a mis à nos
trousses tous les prédateurs en quête de fortunes acquises brusquement et
illicitement. Depuis que l’or noir est devenu le premier atout du pays,
l’Algérie a arrosé tout son monde, ses courtisans en premier, dont les grosses
parts leur étaient réservées pourvu qu’ils applaudissent constamment à tout va
toute politique même si elle mène au suicide.
Avec la chute des prix du pétrole, la roue
tourne maintenant en défaveur des finances du pays. Le gouvernement vient à cet
effet de lancer l’opération de l’emprunt national pour éviter de recourir de
contracter des dettes extérieures et ses conséquences désastreuses en cascade.
Les trois lettres du Fmi sonnent toujours dans nos têtes comme une période effroyable
que les algériens ne sont pas prêts d’oublier avec ses restrictions budgétaires
qui freinent tout éventuel développement et sans omettre de souligner la menace
permanente de la précaire paix sociale.
Pourtant, lorsqu’on passe devant une banque depuis
que cet emprunt ait été lancé, on ne voit aucun engouement populaire aux
alentours comme lors des mémorables masses de 63‑64, ni processions, ni chaînes,
ni quoi que ce soit devant les institutions financières. Pourtant cet emprunt
n’est pas gratuit, il est gratifié d’un attrayant taux d’intérêt allant jusqu’à
plus de 5 %. On espère que durant les jours à venir, de riches souscripteurs
nationalistes se manifesteraient.
On souhaite que ceux qui ont accumulé d’inimaginables
capitaux grâce à l’octroi gré à gré de juteux contrats des marchés publics tels
que l’autoroute, le bâtiment, l’industrie, l’agro-alimentaire, l’agriculture,
la pêche, et j’en passe. Ceux qui se sont sucrés d’avantageux prêts bancaires, les
importateurs des containers qui ont surfacturé les commandes et transférer des
milliards de devises et en grossissant leurs comptes à l’étranger et qui sait,
pour échapper au fisc, se sont permis d’ouvrir des comptes offshore dans les
paradis fiscaux aux îles vierges britanniques, ceux qui par leurs positions dans
la hiérarchie décisionnelle au sein du sérail ont amassé de grosses fortunes
par les corrupteurs étrangers et locaux afin d’octroyer aux plus offrants les
marchés des grandes entreprises publiques, et la liste est trop longue. Est-ce
que tout ce beau monde va entendre le cri de souffrance du gouvernement ?
Le fait que l’emprunt national peut être non
nominatif comme on nous l’a fait entendre, cela démontre que les caisses de
l’état ont besoin de tout dinar même si son origine n’est pas identifiable. On
s’en fout donc de sa provenance, pourvu qu’on y participe. L’économie de
l’informel qui a vécu ses plus belles années sans payer le moindre centime aux
impôts sont donc appelés à faire des efforts, eux qui ont baigné dans
l’illégalité absolue.
On cherche à sauver le bateau Algérie des
griffes des places financières internationales avec leur politique de
redressement. Ceux qui se sont enrichis sur le dos de l’Algérie en engrangeant
de colossales sommes non seulement en dinars et même en fortes devises, doivent
se souvenir aujourd’hui qu’ils ont vécu durant longtemps à l’abri, dans l’opulence
et le gaspillage. Ceux ont volé le pays lorsqu’il était riche doivent se le rappeler
s’ils ont des remords à évacuer. S’ils ont un infime gramme de patriotisme, ils
doivent dans un élan de secours le rendre et demander pardon à la nation. C’est
une occasion salutaire pour se repentir et retrouver le droit chemin.
En
62, il n’y avait ni autant de journaux, ni de chaînes de télévisions pour venir
en aide médiatiquement à leur jeune état. C’était le bouche à oreille qui avait
formidablement et soulevé le peuple comme un seul homme dont seul l’intérêt du
pays prévalait. Un appel du pays signifiait un ordre à appliquer sur le champ. Les
algériens qui avaient connu l’indépendance ne savaient pas que l’Algérie allait
connaître 15 dernières années fastes inondées de sous à gogo. Les uns disent
que 800 milliards de dollars ont été dépensés, d’autres parlent de 1000
milliards. Aujourd’hui, avec toute cette armada de médias, l’appel de sauvetage
des caisses de l’état semble pour le moment orphelin sauf un hypothétique
sursaut.
S’il
y aurait échec de cet endettement, l’histoire retiendrait que ceux qui ont
profité des largesses des années de vaches grasses de l’Algérie auraient été
les premiers à s’en être détournés d’elle lorsque les vaches maigres ont frappé
soudainement à sa porte. J’espère que l’Algérie saurait se remémorer ceux qui
seraient jugés similairement aux fuyards qui auraient déserté le combat en
pleine guerre.
J’ai
bien peur que ce seraient encore une fois, de modestes algériens avec leurs
maigres économies ou par une politique austère qui entendraient l’appel de
détresse et sauveraient la patrie l’Algérie du supplice du Fmi et du club de
Paris malgré la méfiance qu’ils éprouvent plus fortement aujourd’hui qu’hier, vis-à-vis
des gouvernants et leur mauvaise gouvernance, montrant ainsi que l’union
pourrait encore faire la force. Ils savent que leur avenir et ceux de leurs
enfants est à construire ici sur cette terre et qu’ils n’ont pas de pays de
rechange comme certains qui se sont, par défiance, établis ailleurs, et ont
placé en lieux sûrs leur fonds dont ils auront besoin le moment venu lorsque le
pays tomberait en panne.
C’est
mon vieux pieu que de voir le pays ne compter que sur les algériens les plus
sincères et dévoués qui souffrent lorsque l’Algérie va mal et qui sauront relever
tous les défis.
*: Caisse de solidarité.
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