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Article paru dans les colonnes du Quotidien d'Oran du Jeudi 20 Septembre 2012 que vous pouvez consulter également sur les liens suivants:
- en format pdf: http://fr.calameo.com/read/0003704462771d7a9ac32- en format pdf zippé: http://lequotidien-oran.com/pdfs/20092012.zip
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Il a été annoncé avec fracas dans quelques journaux au début de cette semaine qu’une promotion de 105 professeurs de l’université algérienne va accéder au titre de professeur émérite [1]. Tant pis pour nous, diront certains. Tant mieux diront d’autres mais à condition que l’université algérienne dispose des bagages scientifiques et pédagogiques nécessaires pour l’accès à ce titre prestigieux qui doit couronner toute une belle carrière.
Pour
postuler au passage au grade supérieur de professeur, un maître de conférences
de classe A doit fournir un dossier académique et scientifique à la Commission universitaire
nationale (CUN) au sein de laquelle siègent par disciplines des enseignants tous
de grade Professeur pour examiner sur tous les plans les dossiers des candidats
et en décidant enfin de l’octroi ou non de ce grade.
Mais
pour passer au titre de Professeur émérite, les premiers fortunés n’ont pas
besoin de passer par une Commission du même type qui devrait porter normalement
le nom de Commission nationale d’éméritat (CNE). Cette histoire nous rappelle
une autre qui a déjà eu lieu par le passé et dont de nombreux universitaires
s’en rappellent amèrement aujourd’hui. On ne décrète pas l’octroi d’un titre ou
un diplôme par la pondaison d’un texte, il doit se mériter selon les normes
internationales et rien d’autres sinon on lui changerait de noms. En agissant
de cette manière, on est en train de couler l’université algérienne et le pays avec,
qui n’a pas besoin d’un nouveau scandale qui s’ajouterait aux autres dont on
patauge encore dans leurs séquelles.
Dans
sa disposition transitoire du statut de l’enseignant-chercheur [2],
l’article 57 énonce que : sont nommés au titre de professeur émérite les
professeurs justifiant, de vingt (20) années d’exercice effectif en cette
qualité ainsi que de productions scientifiques et pédagogiques depuis l’accès
au grade de professeur et c’est tout, après avis du Conseil d’éthique et de déontologie de la
profession universitaire (CEDPU) dont la
création date du mois de juin 2004 [3]. Et c’est là la faille.
Pour
contourner cet obstacle, les textes du statut de l’enseignant-chercheur font
appel, comme on le distingue habilement, au fameux CEDPU qui est composé
lui-même de 19 professeurs nommés par arrêté ministériel [4] voilà déjà plus
de sept (7) années, selon leur compétence et leur moralité, disons les sages de
ce corps, pour émettre son avis quant à l’accès à ce premier titre suprême des
professeurs impétrants pour la première fois dans les annales de l’université algérienne.
La composante du CEDPU n’a pas changé à moins qu’elle ait été une fois renouvelée
d’un autre mandat de quatre (4) ans.
Donc,
comme on le constate fort prudemment, des professeurs risquent de donner un
avis sur la délivrance de ces titres à leurs propres personnes ! Et même
si un professeur membre ne déposerait pas son dossier, il se retrouverait donc contraint
à livrer un avis pour la promotion d’un de ses collègues à un grade plus
supérieur que le sien. C’est complètement le monde à l’envers !
On
va donc ainsi se retrouver devant un dilemme, exactement dans la même posture
qu’un parlement qui discute de l’augmentation des salaires de ses membres que
sont les députés et les sénateurs. Ou bien dans une commission d’attribution de
logements où ses membres sont demandeurs. De point de vue éthique et
déontologie, ce conseil (CEDPU) aurait donc joué toute sa crédibilité et sa
probité comme son nom ne le présage point. Pourtant ce même conseil composé d’éminents professeurs n’a émis aucun
avis sur cette question qui sent plus le piège plutôt que l’honneur et ce depuis
la sortie des textes voilà déjà plus de quatre (4) années.
La
logique scientifique aurait été de créer d’abord une Commission provisoire
d’éméritat qui serait constituée de professeurs émérites étrangers, ou ayant
l’équivalent de ce titre, de différents pays scientifiques confirmés selon les
normes internationales académiques qui étudierait alors les dossiers des
premiers postulats. Ce n’est pas une ingérence politique mais plutôt
scientifique comme ces dizaines d’instances internationales, à l’instar de
l’UNESCO dont on fait appel pour toutes études pour lesquelles nous ne possédons
pas les compétences requises identiquement comme l’évaluation de nos athlètes sportifs
lors des jeux olympiques. Notre pays connait la valeur de la distinction d’une
médaille d’or olympique.
L’Algérie
ne serait que fier de ses professeurs émérites valorisés qui seraient élevés au
titre de l’éméritat en suivant les règles universelles et ne traineraient
nullement un complexe d’infériorité une fois qu’ils côtoieraient leurs
collègues outre méditerranée ou outre atlantique. L’Algérie dispose de nombreux
scientifiques de hauts rangs qui ont fait leurs preuves sous d’autres cieux et qui
n’ont pas besoin de ce coup de pouce gracieux qui va les poursuivre comme leur ombre
durant toute leur présence au sein de l’université algérienne et jusqu’à leur
départ à la retraite. Cela va souiller énormément leur réputation. Ils auraient
sans aucun doute préféré passer par une autre voie plus académique pour parvenir
à ce titre. Nous nous posons la question si ce n’est, pour certains, l’indemnité
d’éméritat qui les intéresse plus au détriment de la qualité des travaux.
Il
faut noter que la future Commission nationale d’éméritat (CNE) qui sera chargée
d’étudier les prochains dossiers des candidats à ce nouveau titre serait issue
fatalement de cette première fournée de professeurs émérites, mais les règles
vont changer. La CNE va en effet établir les nouveaux critères d’évaluation
ainsi que la grille de notation y afférente.
On
observe bien que d’autres critères seront exigés à la vague suivante comme on
le remarque dans son article 55 [2] qui précise que :- Sont nommés
au titre de professeur émérite, après avis de la commission nationale de l’éméritat,
les professeurs remplissant les conditions suivantes :
-quinze (15) années d’exercice effectif en qualité de professeur,
-avoir encadré jusqu’à leur soutenance des doctorats et/ou des
magisters en qualité de directeur de thèse, depuis sa nomination dans le grade
de professeur,
-avoir publié des articles dans des revues scientifiques de renommée
établie depuis sa nomination dans le grade de professeur,
-avoir publié des ouvrages à caractère scientifique, des manuels
et/ou polycopiés, depuis sa nomination dans le grade de professeur.
Le
tir va être rectifié par la suite mais la question qui subsisterait inévitablement
: va-t-on faire confiance à une commission dont certains de ses membres se sont
autoproclamés professeurs émérites ? Une question qui va longtemps hanter
les esprits des postulants à ce titre dont les premiers pas sont plus que
jamais compromis.
C’est
aussi l’une des raisons de notre échec. Que nos diplômes ne valent pas ceux des
pays développés. Qu’un médecin sorti de nos facultés, se retrouve en train
d’exercer le métier d’infirmier s’il est chanceux au Canada non sans néanmoins
avoir refait toute une formation ou une mise-à-niveau dans les pays européens. Qu’un
docteur universitaire soit recalé sous d’autres cieux à un niveau plus
inférieur, etc…Donc, si dévaluation il y a, ce sont ces imbroglios
scientifiques de ce genre qui en sont la cause de ces catastrophes. Il faut
tout une autre contribution pour faire l’état des lieux sur ce désastre et
s’interroger sur la valeur réelle des diplômes délivrés.
Je
porte à la connaissance des lecteurs que ce Conseil (CEDPU) avait toute la
latitude de se réunir librement en session ordinaire au moins deux (2) fois par
an sur une convocation simple de son président afin de se débarrasser de ce
cadeau empoisonné. S’il s’est réuni au moins 9 fois comme le stipule les textes
depuis sa promulgation, il aurait donc passé sous silence une situation qui le
concerne tant éthiquement que déontologiquement au plus haut degré. Autre supplice,
il existe dans ce conseil (CEDPU) des enseignants qui ne sont pas spécialistes
des disciplines pour lesquels certains candidats auraient sans doute postulé
pour le titre émérite. Il n’y a que douze (15) grands domaines de spécialités composant
ce conseil tandis qu’il existe environ 3000 spécialités de licence dispensées
dans les établissements universitaires du pays.
On
peut bien échoir sur le cas de figure d’un professeur en informatique dont le
dossier serait examiné tout bonnement par son collègue en histoire et voir un
professeur en ophtalmologie juger le travail scientifique d’un spécialiste en
philosophie et vice-versa. On ne peut que rester bouche-bée devant cette
burlesque situation. Doit-on fermer les yeux et passer en faisant semblant
de jouer une parodie tragi-scientifique ? Ou s’arrêter un moment et se poser la
question : dans quel cul-de-sac académique s’est-on fourré les mains
et les pieds ligotés ? Un vrai cas de conscience professionnelle.
De
plus, si on lit les textes du Conseil (CEDPU), ses prérogatives ne lui permettent
absolument de discuter des dossiers purement scientifiques. Le décret exécutif
fixant les attributions, la composition et le fonctionnement du CEDPU [3] et
dans son article 2 montre bien que le conseil propose au ministre chargé de
l’enseignement supérieur toute mesure relative aux règles d’éthique et de
déontologie universitaires ainsi qu’à leur respect.
A ce titre, il est notamment chargé de
proposer :
— les principes, règles et usages devant guider l’exercice de la
profession d’enseignant de l’enseignement et de la formation supérieurs ;
— les principes et règles devant régir les relations entre les
enseignants et les autres composantes de la communauté universitaire ;
— les mesures applicables en cas de non-respect caractérisé de
l’éthique et de la déontologie universitaires ;
— l’ensemble des mesures à même de garantir les libertés des
enseignants dans le cadre de la franchise universitaire ;
— les formes d’actions par lesquelles l’enseignement et la
formation supérieurs contribuent à la promotion scientifique et culturelle du
citoyen.
Comme
on le remarque fort logiquement, il n’est nullement question ici de l’attribution
d’un titre supérieur sauf s’il fallait lire entre les lignes en interprétant cet
article à la convenance de la situation.
En
attendant, pleurons encore sur les quelques jours qui restent à vivre à notre
université. Le salut ne peut venir que par une prise de conscience collective
et une mobilisation générale de ces nombreux réels universitaires qui sont
devenus très minoritaires par ces temps-ci et où la médiocrité règne en
maîtresse absolue. Il ne s’agit pas là de redresser la situation chaotique mais
uniquement pour sauver les meubles qui tiennent encore quelque peu debout.
-Références :
[2] http://www.joradp.dz/FTP/jo-francais/2008/F2008023.pdf (pages 16 à 25)
[3] http://www.joradp.dz/FTP/jo-francais/2004/F2004041.pdf (pages 20 et 21)
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