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Cet article est paru dans les colonnes
du Quotidien d'Oran du jeudi 21 Décembre 2017 sous les liens suivants:
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Une
nouvelle thématique est apparue au cours de ces dernières années dans le
paysage médiatique algérien. Surtout de ces chaînes privées qui ont fait
brusquement irruption sans y être invitées dans nos foyers si ce n’était pas le
programme à sens unique de l’ex-unique. Des télévisions censées traiter des
sujets d’ordre général, se sont-elles spécialisées dans le commerce hideux des
malheurs individuels des algériens en montrant tantôt une famille qui vit dans le
dénuement total et qui nous semble-t-il n’avoir jamais connu l’indépendance,
d’une autre qui souffre d’une grave maladie d’un de ses membres et qui s’engage
dans un appel désespéré pour une éventuelle prise en charge médicale à
l’étranger ou à défaut se soigner dans une clinique privée locale ou encore
d’une autre qui vit dans la vétusté d’un incroyable gourbi des années soixante.
Ces
images, le plus souvent très dures à voir, dont le but apparemment recherché
est de laisser les téléspectateurs sur un sentiment de culpabilité en leur
endossant tout le poids de la responsabilité du sort réservé à cette population
abandonnée par les autorités. Elles vous coupent immédiatement l’appétit si
vous êtes à table ou autour de l’ancestrale meïda. Vous sentez que toutes
les carences des concernés directs par ces situations vous sont tout d’un coup imputées.
L’objectif visé à travers ces reportages me paraît-il est donc de nous désigner
comme étant les blâmables des souffrances des autres. C’est nous qui sommes
responsables du calvaire si nous n’apportons pas l’aide nécessaire à ces malheureuses
personnes. Vous êtes le plus naturellement du monde désigné l’idéal coupable qui
sera tout au long de l’émission, balloté et décrié, sans y être directement cité.
Surtout
si vos sentiments et votre orgueil sont gracieusement titillés. De plus, vous
craigniez que votre générosité soit remise en doute par des paroles châtiant
sans rompre, votre profonde conscience. Des remords impitoyables vous prennent
subitement à la gorge et qui vous font différer au second plan tous vos soucis
et les classer pour de bon entre parenthèses. Pardi ! Raisonnes-tu, il
faut s’estimer heureux de vivre ainsi. Votre condition, vous apparaît
subitement de loin, voire de très loin meilleure que celle du dernier cas dévoilé.
Vous n’êtes plus en position de demandeur. Vos revendications sont alors
remises aux calendes grecques. Honte à vous, si vous osez élever la voix. Vous
devez vous taire pour de bon.
Avant
le passage à l’antenne, une pub sur l’annonce du scoop est soigneusement mijotée
avec le choix de mots très forts et sensibles. On choisit bien les séquences
qui vous touchent le plus surtout celles qui vous sensibilisent sur votre
légendaire wantoutrisme algérien. On tente par tous les moyens et les
ficelles de vous retenir bouche-bée et l’air hagard et hypnotisé. On fait tout
pour capter votre attention le plus longtemps possible jusqu’à être envahi par
l’envoutement. On veut juste chatouiller l’orgueil de l’humain par des images
chocs afin de te faire fouetter.
Vous
ne pourrez plus retenir votre émotion tellement vos chaudes larmes vous
trahissent et vous laissent pensifs en sursautant la nuit de votre léger
sommeil. Vous oubliez aussitôt tous vos tracas quotidiens. D’une maladie chronique
qui touche des dizaines ou des centaines de milliers de gens, on a le sentiment
que seule cette personne est touchée. On daigne juste sauver un seul rescapé et
laisser le reste agonir sur le carreau.
Vous
en parlez sur le champ à vos proches, à vos amis et à vos voisins qui ont raté l’exclusivité
de l’émission. C’est une marque déposée où tous les rôles sont habilement distribués.
Le sujet devient alors la première matière à discussions, à tailler sur tous
les angles et à éplucher sous toutes ses facettes. La publicité aidante aura
fait son effet. La pitoyable personne, clé centrale de l’émission, passe de
l’anonymat total au début de l’émission à une popularité des tranches de la
société les plus défavorisées, vers une icône ineffaçable de la mémoire des
suiveurs . Par le miracle de la télévision, la chaîne lui a ouvert tous les
chemins qui lui étaient il n’y a pas une heure tous bouchés. C’est le jeu de la
loterie où à chaque fois, c’est le tour du suivant tiré au sort. Patience, ne
vous précipitez pas, vous aurez votre tour pourvu que la chance vous sourit. On
vous tient en haleine tout en vous miroitant un piètre mirage.
Une
fois le reportage diffusé à la grande heure d’écoute en prime time, et pour
augmenter la cadence et fabriquer d’une histoire un mythe, on vous signale que le
standard téléphonique menace de se bloquer par le nombre incalculable d’appels
à la seconde. Le but non déclaré à travers ces arrivistes boîtes de médias est d’abuser
de l’audimat et s’accaparer un leadership médiocre en usant de fastidieux subterfuges.
Emboîtant le cas dans un scénario bien écrit, ce sont ensuite, les sponsors des
temps nouveaux qui accourent sans aucune retenue une fois la foule embrigadée. Et
la boucle est bouclée. Les appels à l’aide commencent à fuser soudain de
partout comme si autour de soi, tout est parfait. Comme si cette chaîne tv doit
vous faire distinguer le licite de l’illicite. Faire la différence entre le
bien et le mal. Désigner celui qui est dans le besoin de celui qui ne l’est
pas. Vous n’êtes plus maître de vos pulsions. Vous êtes complètement abêtis.
Quant
au malheureux héros, c’est tout à fait légitime qu’il se frotte les mains en observant
tout ce sésame s’ouvrir devant lui. L’aide afflue de partout. On ira jusqu’à la
lointaine montagne pour extirper sa pauvre famille de sa caverne qui devient plus
un objet de curiosité avec qui tous les téléspectateurs doivent absolument en
compatir. Le cœur ne pourra plus résister sauf s’il est composé de pierres. Après
cette délivrance, on aura la sensation du devoir accompli et l’histoire se
termine par une fin enchantée. Ainsi, on feigne de dénouer un seul cas tout en
perdant le gros de la troupe qui moisira dans son pénible quotidien. L’essentiel
est de vendre du rêve. Bravo ! Tout le monde a participé au spécial téléthon.
Et on passe au cas suivant après avoir loué à tout va ces messieurs de la
chaîne et leurs protecteurs attitrés.
Un
vrai média n’est pas une ligue de bienfaisance. On en trouve de partout des
associations d’entre-aide de ce type et qui activent dans l’anonymat sans faire
de bruits ni tapage, ni ne s’attend à un quelconque retour d’ascenseur. Elles
le font par devoir et par conscience pour apaiser un tant soit peu les douleurs
des couches déshéritées.
Pendant
toute cette mise en scène, les grands problèmes du pays sont occultés et noyés.
On doit détourner notre attention sur les vrais enjeux. Cela ne doit pas nous
concerner. On ne va pas quand-même nous embrouiller avec ça ! Nous ne
sommes pas encore mûrs et adultes pour donner un avis, pour voter dans le sens valide.
Ne nous inquiétons pas, ils sont là à penser à notre destin. Surtout ne nous
tracassons pas, notre avenir est entre de « bonnes » mains.
Une
chaîne de Tv doit descendre dans l’arène en investiguant sur le terrain, en
cherchant à dénicher si des autorités locales ou nationales quels que soient
leurs rangs, aient accompli ou failli à leurs missions et en dénonçant les véritables
responsables de la situation. Elle ne doit pas caresser certains dans le sens
du poil et les encenser à outrance car intouchables et en même temps s’attaquer
aux plus vulnérables qui ne disposent pas d’appuis confortables, d’influences
suffisantes et de carnets d’adresses impressionnants et qui ne sont là que pour
servir de fusibles si jamais là-haut la menace se rapproche. C’est le dernier
maillon de la chaîne qui est mis à l’index. Ce n’est pas du tout déontologique
de s’attaquer aux plus fragiles et épargner les gros bonnets. Attention de
vendre inlassablement du mirage. Le vrai coupable risque toujours de revenir à
la Une.
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