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Cet article est paru dans les colonnes du Quotidien d'Oran du jeudi 14 Décembre 2017 sous les liens suivants:
-en format html: http://www.lequotidien-oran.com/?news=5254045
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Qui
ne se rappelle pas de ces visites de Chirac et de Sarkozy en Algérie et de ces
appels des jeunes qui les avaient abordés en scandant :
« visas ! visas ! ». La dernière visite éclair du tout nouveau
jeune et dynamique président français Macron n’a apparemment rien changé pour
les sollicitations de cette jeunesse, ou du moins, à qui on a permis de le
croiser en cette belle journée ensoleillée dans le centre ville d’Alger.
Je
pense que jamais Macron ne se serait hasardé d’approcher et d’enclencher directement
un débat de rue avec ces jeunes. Il avait le champ libre. S’il ne savait pas
qu’il était en terrain totalement conquis surtout dans un espace absolument déserté
par les nôtres, jamais il ne pouvait se permettre de débattre en toute liberté
avec les citoyens et presque en direct on live sur les réseaux sociaux.
Peut-être que nos gouvernants se seraient risqués de le faire mais après un
montage minutieux de la télévision publique et sa diffusion en différé dans le
glacial JT de 20 heures après d’innombrables visions et où la censure aurait
battu son plein. Et encore, on aurait laissé des traces de contrefaçons que les
spécialistes les auraient d’un furtif coup d’œil dévoilées.
Cette
visite, qui n’a duré que quelques maigres heures, n’aura donc laissé personne
indifférent et continue de faire couler l’encre et ne cesse de saliver de
nombreux observateurs surtout algériens. En une seule journée, Macron avait délivré
un concentré de signaux dépassant largement la limite du supportable. Pourtant sa
virée algéroise est passée presque inaperçue en France, éclipsée il est vrai, par
la disparition de la star française du rock & roll Johnny Halliday et surtout
dans le monde par la déclaration offensante de Trump sur sa reconnaissance de la
ville d’El-Qods comme capitale de l’état hébreu.
Sinon
les nostalgiques de l’Algérie-française se seraient saisis de cette opportunité
pour profiter de verser leur fiel notamment lorsqu’une occasion inouïe comme
celle-ci se présenterait. Ils auraient eu beaucoup de choses à ressasser et à
commenter surtout que l’imprenable et imprévisible président français ait nettement
reculé dans son actuel discours par rapport à la mémoire.
Apparemment,
le terme fort de « crime contre l’humanité » qu’il avait utilisé le 13
Février précédent, n’est plus d’actualité. Il est scellé dans un tiroir en
attendant d’être un jour éventuellement ré-ouvert lorsque toutes les conditions
seraient réunies à condition que les algériens ne s’avouent pas vaincus. Rappelons
le message phare qu’il avait annoncé au micro du journaliste Khaled Drareni de
la chaîne tv Echourouk News : « La colonisation fait partie de
l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est
une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en
face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers
lesquels nous avons commis ces gestes…». Un vrai pavé jeté dans la mare et lancé
en pleine figure de la vieillotte droite française et de son clone l’extrême
droite. Il est vite vilipendé de tous les noms par ses adversaires
d’outre-méditerranée allant jusqu’à l’accuser d’insulter la France à partir de
l’étranger. On pensait que le présidentiable Macron, emporté par sa fougue
juvénile, voulait peut-être déblayer le terrain et casser les tabous mais il
s’avère maintenant que le chantage va encore durer. Notre fin de deuil n’est
pas pour demain. Notre souffrance morale va persister.
Presque
11 mois plus tard, il est de retour en ce 6 décembre dans notre capitale, mais dissimulé
derrière un scénario à la Docteur Jekyll et Mister Hyde, qui nous a tous
douchés. Quoique cette fois-ci, il est dans le costume de président, élu
confortablement et fort de ses prérogatives et de ses pleins pouvoirs pour
prendre les décisions qu’il faut, d’évacuer les obstacles qui bloquent et
enveniment les relations entre les deux pays dont le futur, tous domaines
confondus, est lié. En somme, il y a une différence flagrante entre les thèses respectives
du candidat et de l’élu, entre le fictif et le réel. Qu’est ce qui a changé
depuis pour expliquer ce revirement de 180 degrés ?
Maintenant,
qu’il est installé dans son palais de l’Elysée, il est peut être hanté par les
âmes de ceux qu’ils l’ont précédé et rattrapé par les vieux démons. Effectivement,
trois jours avant sa visite de travail et d’amitié, il annonce déjà la couleur,
comme si de rien n’était, en twittant : « ni déni, ni repentance :
on ne peut pas rester piégé dans le passé. Ce qui compte, c'est notre avenir
commun ». Drôle d’amitié me laisse tenté de dire ! On ne peut pas
marcher aussi allègrement sur les cadavres des martyrs et sur les enfumades de Cavaignac
et de Pélissier.
Sa
déclaration électorale n’était donc qu’une promesse électorale à miroiter
d’abord aux binationaux et ensuite aux nationaux mais il s’était vite ressaisi
après la gronde qui s’était élevée en France et qui l’avait même plongée dans
les sondages alors qu’il menait largement au score des intentions de vote. Cela
lui aurait été fatal s’il ne s’était pas rapidement rattrapé par la suite en retournant
deux fois sa langue avant d’oser. Ce n’était qu’un avertissement des sombres
souvenirs qui veillent. La vieille garde de la France coloniale tient toujours
le temple du passé en otage dont elle ne veut pas s’en défaire.
De
plus, dans un autre tweet posté à 11h35 exactement, juste après son arrivée à
l’aéroport d’Alger, il enfonce le clou : « La jeunesse
franco-algérienne est une chance. Nous ferions une erreur colossale à penser
qu'elle ne fait que regarder un passé qui n'est pas le sien. ». Il
veut que cette jeunesse soit amnésique. À la différence de la victime, le
bourreau préfère bien tout se débarrasser de sa mémoire mais les remords ne le
laisseront jamais fuir ses cauchemars. C’est pour cette raison que le mot
« torture », un mot banni durant la colonisation, aura trouvé tout
son sens quelques années plus tard par les tortionnaires eux-mêmes, soulageant quelque
peu leurs consciences. Les deux jeunesses des deux bords de la méditerranée
doivent regarder le passé mais tout en libérant leurs aïeux du supplice moral,
autrement l’histoire risquera sans cesse de les poursuivre. Un jeune doit
d’abord être prompt à être ouvert sur l’avenir tout en révoquant les
antécédents esclavagistes de l’être humain.
Il
faut prendre exemple sur la jeunesse allemande qui dans sa majorité n’a jamais
hésité à renier sa jeunesses hitlérienne. Elle a éradiqué de ses pensées toutes
références au nazisme. La jeunesse italienne n’est pas non plus en marge de
l’histoire pour avoir rejeté le modèle mussolinien. C’est comme cela qu’un
grand pays devrait assumer avec culpabilité ses actes, particulièrement envers
l’humanité. Le jeune que le président Macron avait accosté au centre d’Alger
n’avait fait que de le rappeler à ses responsabilités.
Heureusement
que la mémoire collective est vive. Elle se transmet de génération en
génération malgré les trahisons et les incertitudes des uns et des autres. Macron
était surpris qu'un jeune l'interpelle sur la colonisation. C’était comme une
fausse note de son voyage croyant marcher que sur du velours. Ce jeune de 26
ans a sauvé la face d’une partie de cette jeunesse quémandant un misérable visa
et c’est ce qu’on peut retenir le plus de cette balade macronienne.
Néanmoins,
Macron a manqué d’avouer qu'aux Français, on a créé deux chaînes de télévision
thématiques sur l'histoire, en l’occurrence « Histoire » et « La
Chaîne Histoire », où l’on diffuse à longueur d’années des documentaires
sur le nazisme et la shoah, pour ne pas dire, on use de l'endoctrinement à
outrance, si j’ose le qualifier ainsi, afin de ne pas pardonner le passé nazi sans
omettre le matraquage médiatique quasi-quotidien et les rappels à l’ordre des
élèves aux cours d’histoire-géo.
Macron
recommandait au jeune algérien de gommer tout cela de sa tête en regardant sans
se retourner vers l'avenir et de ne point venir l’« 'embrouiller »,
selon ses propres propos, avec de telles « anciennes » histoires. Macron
aurait dû le prôner aux français avant de nous le prescrire. Pourtant la durée
de la seconde guerre mondiale ne représente que 4,55 % par rapport à la
longue nuit coloniale sans manquer de souligner que les vainqueurs d’autrefois
avaient eu tout ce qu'ils voulaient de l'Allemagne comme réparations surtout
morales ayant trait à la mémoire.
Et
comme pour bien achever la mémoire de ce peuple, il rajoute dans un ultime
tweet à 11h42 précisément, pendant qu’il est sans doute en route vers Alger, en
dissertant que : « Réconcilier les mémoires, c'est trouver le
chemin qui permet aux femmes et aux hommes nés en Algérie de pouvoir y revenir,
quelles que soient leurs histoires. ». Un autre coup de massue qui a visé
en plein dans le mille. Et vlan ! Cette phrase, non innocente, n’est pas
écrite de la main du premier venu. Elle est minutieusement préméditée et
prépare une autre feuille de route qui ne plaide pas en faveur d’un
rapprochement sincère et durable entre les deux pays.
Est-ce
qu’on peut demander aujourd’hui à un résistant français de l’époque de la
seconde guerre de se réconcilier avec un allemand de sa génération qui assume toujours
son nazisme ? Au contraire, les anciens nazis ont été pourchassés à la
loupe à travers toute la planète, puis arrêtés et ensuite condamnés. Il suffit
de zapper sur les chaînes de télévision françaises pour se rendre compte que même
les sentences prononcées à l’encontre des criminels leur paraissaient insuffisantes
comparées aux douleurs qu’ils ont provoquées, et c’est tout à fait légitime.
Quant à nous, on nous exhorte de faire maintenant table rase sur notre histoire
coloniale et passer à autre chose de plus « intéressante ». Circulez,
il n’y a rien à voir. Le moins que l’on puisse dire est ce qui est licite pour l’un,
semble être inaccessible pour l’autre.
Seule
consolation de cette journée est la promesse de la restitution des crânes des
résistants algériens décapités lors des expéditions coloniales françaises. Et
ce n’est pas encore gagné. Rien que le fait de penser que ces têtes de nos
aïeux sont séquestrées contre notre volonté dans des boîtes à chaussures pour
rependre les termes employés Brahim Senouci, prouve toute la cruauté et la
barbarie de ce que fût la colonisation. Je ne pense pas que la jeunesse
française soit honorée aujourd’hui par de tels actes du moyen âge.
Espérant
que durant la prochaine visite d’état que compte effectuer ultérieurement le
président français en Algérie, il ne viendrait pas en conquérant croyant que
les fils des indigènes d’hier, des enfumés de la Dahra, des révoltés des
Zâatchas et du second collège ont la mémoire courte pour leur faire avaler
facilement la pilule. Ce ne sont pas les enfants des bachagha bengana et
boualem. Ils sont sains d’esprit et vaccinés. Souhaitant qu’en cette journée mondiale
« trumperienne », Macron ne nous a-t-il pas lui aussi « trumpés » ?
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