mercredi 16 février 2011

Adieu Professeur.

« Monsieur le Wali, ma brosse ne sait rien faire d’autres que de brosser un tableau noir »
Professeur Mohand Saïd OUALI [1947-2011]

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« Salam, C'est avec beaucoup de tristesse et de douleur que je viens d'apprendre le décès de notre collègue le professeur Ouali. Quelle perte pour l'université algérienne ! Homme de sciences, il était très rigoureux et refusait absolument la médiocrité et le manque d'éthique dans l'enseignement supérieur. Ses écrits : ouvrages, articles scientifiques sont là pour témoigner de sa valeur morale et scientifique et rappelleront éternellement l'homme qu'il était et qui restera. Je présente à toute la famille Ouali mes plus sincères condoléances et prie Dieu de l'accueillir dans son vaste paradis. A Dieu nous appartenons et c'est à Dieu que nous retournons. ».
C’est en ces termes que la collègue S.T., Professeur de chimie à l’université de Sidi Bel Abbès résumait dans son message de condoléances la vie de notre Professeur Mohand Saïd Ouali, chimiste de son état, rappelé à Dieu en cette journée ensoleillée de ce Dimanche 13 Février 2011 vers les lueurs de l’aube du matin de ce même jour. Tous les collègues l’ayant connu de près ou de loin attestent du même témoignage sur ce grand monsieur de l’université de Mostaganem en particulier et Algérienne en général. Un modèle du genre dont l’enseignant chercheur doit s’inspirer.
Ce modeste papier ne peut résumer à lui seul la carrière d’un scientifique de haut rang ni ne peut lui rendre un digne hommage pour celui qui n’a été qu’un bref directeur de l’ex-Ecole Normale Supérieur de Mostaganem en l’espace de quelques mois seulement. Il y a goûté à la responsabilité dont il est sorti de son propre gré répugnant. Il n’acceptait jamais qu’on lui dicte de là-haut la politique à prôner pour le bien être de son milieu universitaire.
Par contre, il veillait rigoureusement à l’application de la réglementation en vigueur à la lettre, pas à coups intempestifs du téléphone, diligentés du sommet de la pyramide. Il ne voulait en rien céder sur ses prérogatives. Il avait alors compris qu’il ne pouvait pas assumer, dans ces conditions, une telle responsabilité en jetant rapidement l’éponge pour ne se consacrer qu’à la chose purement scientifique en jetant son dévolu sur la recherche qu’il n’avait d’ailleurs jamais auparavant abandonnée.
Pour ceux qui l’ont côtoyé tous les jours, ils lui vouent une admiration sans limites devant tant d’humilités et le découvrent davantage à chaque moment de plaisir passé en sa compagnie. Ce n’est pas parce qu’il n’est plus de ce monde que l’on étale ses énormes mérites en poussant l’encensement mais c’est le sentiment quasi unanime de tous ses collègues. La foule impressionnante qui l’a accompagné jusqu’à sa dernière demeure montre bien la considération et l’attention que lui portent ses anciens compagnons de route.
Il ne faut pas non plus avoir peur des mots pour affirmer qu’il faudrait beaucoup de temps à l’université Algérienne pour enfanter et élever un professeur de sa trempe, tant sur les plans scientifique qu’intellectuel.
Le retard de développement pris par notre pays lui faisait très mal. Il était encore plus rigoureux en premier lieu avec sa personne pour l’être ensuite à son entourage. Il avait toujours mis la barre plus haute selon les normes universitaires universelles. Son seul souci était la dégradation flagrante du niveau qui se dégringolait affreusement. Il luttait contre vents et marrées, on peut dire qu’il naviguait à contresens du fort courant de l’impitoyable déluge. On pourrait dire maintenant qu’il était même trop idéaliste pour une époque dégénérée dans pratiquement tous les domaines. Malgré ce déclin, il ne lâchait jamais prise devant les carences qui ont noyé l’université Algérienne.
Il a combattu de toutes ses forces devant le mal profond qui mine notre université. Mais lorsqu’on prêche la bonne parole dans des espaces de plus en plus gagnés par l’opportunisme et l’arrivisme de pseudos scientifiques, on peut rendre l’âme mais il l’a fait avec tous les honneurs dus à son rang, les armes à la main. Il est mort debout, le stylo et le clavier aux bouts des doigts.
Malgré sa souffrance de la maladie, à la veille de son décès vers 19 heures, il avait envoyé un e-mail à un de ses collègues. Je vous laisse le soin d’analyser ce qu’il distillait dans son message, un dernier héritage à ses collègues : « Cher ami, je te prie de t'informer de temps en temps du calendrier d'inscription en Master 2 à l'usto (ouverture, constitution du dossier et date limite de dépôt). Je te serai infiniment reconnaissant de veiller à alerter ma fille du développement des évènements car pour l'instant je ne puis le faire étant donné mon état de santé. Merci d'avance. Amicalement et à bientôt. OUALI ».
Comme on le constate fort bien, il était inquiet pour son travail qu’il ne l’a quitté que par la force majeure qui l’a clouée au lit depuis plus d’un mois avant son décès. Il trouvait quand même la résistance et le courage pour se soulever difficilement et rendre visite à ses collègues. Il ne pouvait pas se priver de l’air universitaire, le seul endroit dans le pays, qui le faisait encore maintenir en réanimation.
Durant ses derniers jours, il était même revenu pour assurer une surveillance d’un examen pour lequel il était convoqué. Il respectait fortement la hiérarchie pédagogique. Il n’acceptait aucune faveur ni un quelconque avantage pédagogique par rapport à ses collègues. Il ne rechignait jamais devant l’effort face à ses devoirs pédagogiques et statutaires.
Il ne connaissait rien sur le marchandage des notes. Aucun étudiant, ni d’autres personnes n’osaient l’approcher pour demander le rajout d’un quelconque quart de point par ci ou par là. Ils savaient bien que le Professeur ne pouvait jamais fléchir sur le mal acquis. Sa conscience professionnelle ne lui permettait aucunement le moindre petit écart. Il était « carré » comme on le dit souvent pour exprimer la droiture de l’être humain. Par contre, il était sensible et humain dans ses rapports. Il n’avait pas d’ennemis mais justes des adversaires des règles prescrites.
Il ne connaissait pas un autre milieu que celui de son université où il était présent à son bureau durant toute la journée. Tu le cherches, tu le trouveras toujours disponible. Il aimait aussi la tranquillité des week end pour se concentrer un peu plus sur son travail qui l’absorbait, lui bouffait tout son temps. Il était comme un poisson dans l’eau dans son univers qu’il s’est créé.
L’ayant côtoyé depuis plus d’une douzaine d’années, je n’ai jamais vu le professeur Ouali prendre des vacances même celles très rarement de l’été qu’il méritait d’ailleurs amplement. Il était à son bureau ou à son laboratoire du matin au soir. Qu’il vente ou qu’il pleuve, il était pratiquement le dernier à quitter son lieu de travail, il était toujours fidèle à son poste.
Depuis que je l’ai connu, il n’a jamais demandé ni pris un stage de courte durée à l’étranger ni congé scientifique dont bénéficient annuellement une grande majorité des enseignants universitaires. Il ne voyait pas la grande utilité de partir en stage le temps de quelques jours pour faire un travail scientifique sérieux. Il voulait être le parfait exemple et il a réussi de partir propre dans l’au-delà et de rencontrer son Dieu en cet état de piété et de pureté scientifiques.
Il était constamment en guerre contre la médiocrité qui submerge l’université Algérienne. A lui tout seul, il représentait un formidable équilibre, un contrepoids nécessaire. Son âme va encore peser dans les esprits que j’espère ne sera pas que de courtes durées. Nos collègues doivent méditer et constamment se le rappeler lorsque les sens maléfiques leur prennent le dessous. J’ai la crainte de voir des prédateurs surgir de nulle part et qui guettent la moindre occasion pour occuper la parcelle libérée par ses réels propriétaires pour profiter allègrement de sa disparition et s’approprier en indus occupants l’espace orphelin.
Encore merci, cher Professeur, pour ces leçons dont nos conseils d’éthique et de déontologie dont certains n’existent que de nom, doivent s’en insuffler. Pour le noble métier qu’il exerçait avec ferveur Il disait qu’il est plein de transpiration mais c’est l’inspiration qui en manque le plus actuellement.
Ses interventions et ses critiques étaient argumentaires, pertinentes et judicieuses à la fois. Il faut noter qu’elles étaient appréciables de tous. Car elles suivaient simplement le bon sens et la logique que seule sa conscience de véritable enseignant chercheur lui dictait. Tous les responsables, qui en doutaient sur leurs capacités, ne pouvaient l’amadouer aussi facilement. Ils l’enviaient pour son intégrité morale irréprochable.
Il choisissait ses amis parmi ceux qui lorgnaient vers les principes généreux. Il n’acceptait aucunement les caméléons qui retournaient leur veste au moindre changement du patron au détriment des principes généraux. En tous les cas, ses adversaires au plus profond d’eux-mêmes, s’ils en restent quelques uns aujourd’hui, le respectaient à cause de cette ligne de conduite dont il s’est imposé et qui ne le faisait dévier de la rectitude. Il était intraitable sur cette question.
A lui tout seul, il symbolisait un syndicat incorruptible à l’intérieur des conseils administratif, pédagogique et scientifique. Espérons que son franc parler, sans détours ni aucune magnanimité, ait reproduit une légende en laissant d’indélébiles traces après lui.
Il faisait souffrir scientifiquement ses magistérants et ses doctorants. Il ne faisait soutenir que ceux qui bossaient sérieusement et inlassablement. Il ne badinait jamais avec la discipline de règle qu’il s’est appliqué d’abord à lui-même avant le reste. Aujourd’hui, ils ne regrettent en rien leur passage entre ses mains, ils lui seront toujours reconnaissants.
Son cheval de bataille était aussi sa lutte contre les jurys de complaisance et la spéculation scientifiques qui se sont banalisés fâcheusement dans notre milieu. Il était aussi mal à l’aise face à la compromission et à tout ce qui se touchait l’université algérienne à propos du plagiat et du copié-collé qui a pris un ascendant dangereux. C’est pour vous dire que l’éthique universitaire et la déontologie faisaient parties de ses profondes craintes et prémonitions quant à l’avenir de l’université algérienne pour qui il s’en est pleinement sacrifié durant toute sa carrière quoiqu’il soit parti trop jeune pour un scientifique à 63 ans.
Ce qui inquiète le plus, est que le professeur OUALI représentait une perle très rare au sein de notre université et il ne faut pas avoir peur des mots pour dire aussi celle du pays même s’il n’aimait pas se mettre particulièrement en évidence ni braquer sur lui les feux de l’actualité. Il était humble et plein de fierté.
Nous espérons tous, cher regretté Professeur, que ton université et ton Algérie ne t’oublieront pas de sitôt une fois enseveli sous terre. Il faut qu’elle commémore ta mémoire à chaque fois que l’occasion soit opportune pour évoquer tes immenses vertus, oh ! Combien exceptionnelles en ces temps de misères et de désastres intellectuels.
Tu mérites amplement que l’on fasse de ton passage dans cette vie des journées d’études pour perpétuer les qualités que tu as semées dans ton entourage. Je sens que tu ne nous as point quitté l’esprit tranquillisé vu l’état de déliquescence qui éclipse totalement les bonnes valeurs.
J’espère que les responsables universitaires de notre pays donneront ton nom à un édifice, à une université ou pourquoi pas à une grande rue. Il est tant que des universitaires de ta catégorie qui honorent la science et le pays, dans l’ombre la plus absolue, soient portés à la lumière une fois disparue.
Adieu Professeur Mohand Saïd OUALI, l’ami, le collègue, l’homme de sciences, l’intègre, le propre, le net, l’insoumis, le franc, le rigoureux, …Tant de qualificatifs difficiles de se trouver rassemblés sur une seule personne. La meilleure offrande que l’on puisse offrir à ta mémoire est d’adopter pleinement ce lourd tribu que tu nous as légué comme feuille de route quotidienne pour sortir l’université algérienne de son marasme général tout en priant Dieu que tu sois toujours dans un éternel et paisible repos tant mérités. Adieu notre cher Professeur !

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