mercredi 30 mai 2018

Mamoudou Gassama ou la providentielle loterie




Ce qui s’est déroulé ces trois derniers jours à Paris est inouï. La vidéo amateur sur le sauvetage d’un enfant de 4 ans suspendu dans le vide d’un balcon du 4ème étage d’un immeuble parisien et circulant à la célérité de la lumière sur les réseaux sociaux, a provoqué en quelques heures un incontestable buzz viral jusqu’à faire ameuter tous les médias français et d’en faire la Une de leurs journaux.

En effet, Mamoudou Gassama, dont le nom ne vous disait certainement rien la semaine dernière, est soudain passé de l’anonymat à un héros national dans l’hexagone. Comme par un miracle avéré, il est passé de l’obscurité à la lumière du jour. Il passe ainsi de l’enfer de la clandestinité d’un sans-papier qui craint d’être attrapé par la police et renvoyé manu-militari chez lui, vers un homme respecté et louangé par toute la France sauf, et sans prendre la peine de le vérifier, par son aile droitière sarkoziste et vallsiste et son extrême lepeniste qui, sans aucun doute fulminent dans tous les sens et se terrent sans voix, ne supportant pas à ce qu’il arrive à leur pays chéri.

Le président Macron a aussitôt senti venir la vague sur laquelle il faut tout de suite monter pour la guider à bon port. Il a eu du flair le jeune président pour profiter de cette occasion de redorer son blason. Il a montré qu’il n’est nullement un néophyte en matière politique que seuls les plus aguerris arrivent à renifler un tel coup de maître. C’est vrai qu’on dira ce qu'on dira mais jamais ce harrag malien ne pouvait illusionner d'être reçu par le président de son propre pays et de surcroît vêtu d’un jean et d’un tee-shirt des banlieues ! Il faut quand même reconnaître au novice président français la vitesse avec laquelle il a pris sa décision de le recevoir aussitôt.

Un enfant sauvé en direct live de la mort, cela va émouvoir la France entière. A la fin du mois, il va y avoir des points à glaner. Et puis d’abord, il ne peut être un humain celui qui n’aime pas un enfant. Les choses vont ainsi se précipiter pour le jeune Mamoudou qui à coup sûr, a dû vivre tous les calvaires depuis Bamako pour arriver précisément à la minute M et à la seconde S dans cette rue parisienne pour être le secouriste attendu de ce pauvre enfant dont personne n’a osé accomplir le prodigieux geste dont il est maintenant le dépositaire par son sens inné d’un être humain auquel il était habitué dans son environnement naturel africain.

Mamoudou était certainement par hasard dans ce quartier, sans doute à la recherche d’un quelconque emploi au noir pour survivre durant cette fortuite journée comme tous les migrants qui vivent dans les conditions des plus déplorables. Sorti donc de nulle part, le voici sans réfléchir et sans hésitation aucune escalader les étages, balcon par balcon, à la force de ses bras et suivi par les passants qui se sont amassés au bas de l’immeuble, ébahis par son courage et sa détermination. Spiderman, c’est d’ailleurs, le surnom qui lui a été donné par les facebookiens, fascinés par son agilité et son cran. C’est le destin qui l’avait appelé à être présent en ce lieu à cet instant précis et qui va marquer à jamais sa vie.

Pour le moment, personne ne sait comment il avait atterri à Paris à partir de sa lointaine Mali. Les scénaristes télécommandés pour la bonne cause vont écrire le scénario authentique et le reluire en lui donnant une touche appropriée et produire un éventuel film en gestation, à la hauteur de l’événement et de l’émotion provoquée chez le peuple français devant l’héroïsme de l’humble et modeste Mamoudou. On aura à relater aux petits et aux grands l’histoire de Mamoudou Gassama, ce sauveteur que Dieu a envoyé au béni petit enfant français. Comme il y a des Mamadou méchants, il se trouve qu’on peut également fabriquer selon les circonstances, un bon Mamoudou que l’on extirpe hasardement de son milieu par le biais de la loterie.

L’exploit de Mamoudou n’est certainement pour lui qu’un jeu d’enfants. Ce qu’il a subi comme dangers pour parcourir des milliers de kilomètres et arriver jusqu’à sa dernière destination parisienne est un vrai parcours du combattant. Traverser une Libye en pleine guerre civile que le sinistre prédécesseur de Macron l’avait provoquée et que ce dernier ne l’a d’ailleurs jamais renié, n’est pas une mince affaire. Franchir le désert libyen n’est également pas une chose aisée surtout avec la menace permanente d’être tombée entre les mains des milices armées qui abondent dans ce pays.

Je pense que Mamoudou a vu, au cours de  son long périple, des familles libyennes complètement décimées et des enfants, victimes des frappes l’aviation française. N’allez pas me dire qu’il n’y a pas eu un seul petit enfant de ce pays qui n’est pas mort indirectement ou tué par un obus tiré d’un avion ou d’une flotte de l’armée française dont Macron est aujourd’hui le chef suprême ? Je ne peux non plus croire qu’aucun enfant syrien n’a été victime d’une balle française, ne serait que perdue, lors des multiples bombardements que personne n’avait filmés pour le compte des médias français qui aujourd’hui se sont levés comme un seul homme en passant en boucle l’exploit de Mamoudou ? Ceux-là, c’est vrai qu’ils sont loin des yeux. On ne s’en soucie guère. Ce ne sont pas les enfants de leur pays.

Si l’on est sensible aux anges petits enfants, on doit l’être pour tous sans quoi cet amour ne peut être que sélectif. Je ne vous raconte pas comment ces mêmes médias feignent de voir et bannissent sur leurs écrans toutes les images venant de Ghaza ou des autres territoires occupées dans lesquelles l’armée sioniste expérimentent à longueur d’années toutes les armes non-conventionnelles sur les enfants palestiniens. N’a-t-on pas vu à la veille du mois du Ramadhan parmi les 59 palestiniens exécutés par l’armée sioniste, non seulement des enfants mais pire encore, des bébés comme l’ange Leila al-Ghandour, âgée de huit mois, sans que l’on s’émeut outre méditerranée ? Comme d’habitude et en bon allié médiatique, ils vont justifier la mort. Et encore, et encore…

Pour revenir à Mamoudou, j’estime que son plus grand risque a été sa traversée incroyable de la mer méditerranée tout en bravant le déchaînement de la grande bleue dans une embarcation de fortune, entassé avec ses frères migrants comme des sardines et la mort les guettant à chaque seconde jusqu’à leur arrivée dans une côte à Lampedusa l’italienne. Pour mesurer leur incroyable prouesse, il suffit d’aller sur youtube et voir toutes ces vidéos de ces harragas raconter leurs aventures, digne d’un film à grand succès.

En observant Macron questionner Mamoudou sur sa bravoure, la timidité de ce dernier prouve qu’il était vraiment gêné par la question. Son héroïsme était ailleurs dans ses multiples péripéties entre le Mali et la France, en passant par toutes les embûches où à chaque fois il avait lutté contre la mort. Si Macron savait à quel homme il avait affaire, assis en face de lui, il n’aurait pas dû poser sa question. Lui qui est né avec une cuillère en or à la bouche, il ne pouvait jamais mesurer et percevoir les antécédents exploits de Mamoudou.

Mamadou a vu son étoile briller ces jours-ci dans le ciel parisien et son histoire est, à ne pas en douter, racontée dans toutes les chaumières. Il y a un avant « 26 mai 2018 » et un après cette date. Une nette coupure entre les deux. Nos harragas sont émerveillés par un tel acte et surtout au vu de l’accélération des événements pour Mamoudou. A cet effet, je me permets d’emprunter à mon ami Mustapha cette phrase qui en dit longuement sur leurs futures ambitions : « Avis aux harragas : Si vous voulez avoir vos papiers, soyez aux aguets près des cours d'eau et aux abords des plages non surveillées pour sauver de la noyade de pauvres petits français imprudents et en bas des immeubles et des montagnes pour sauver des alpinistes nonchalants ».

Sollicité de toutes parts, il est traqué par les médias à la recherche de gonfler leurs scores à l’audimat, non pas pour le dénoncer à la police suite à un séjour illégal dans leur pays mais pour arracher de lui une exclusivité, ne serait-ce qu’un petit mot doux pour les français et de leurs questions stupides qui ressemblent à quelques uns de nos médias. En un temps record, on essaie de retracer toute sa vie au Mali pour retrouver ses origines, sa famille, ses proches et ses amis.

Pour le moment, il est dans son nuage comme quelqu’un qui a gagné la grosse cagnotte au loto. Après Macron, c’est au tour du président du Mali de l’appeler en personne à son portable à qui il lui demande de rentrer au pays et d’être engagé tout de suite dans l'armée malienne. S'il n'était pas reçu et médiatisé par la presse hexagonale, je doute fortement qu’il soit sollicité par son président de là-bas. Mais pour le moment, c’est trop tard pour lui. Macron l’a déjà précédé. Il fallait réagir au moment opportun.

Pour l’instant, il vit un rêve, une hallucination ahurissante. Deux jours après, toutes les portes qui étaient scellées, lui sont dorénavant grandes ouvertes. Ainsi, il est reçu le jour d’après sur instruction de Macron, comme un officiel par le préfet de Bobigny afin de régulariser sa situation et de pouvoir entamer sa naturalisation. Dans l’après-midi, il est déjà opérationnel chez les pompiers, le métier qu’il veut exercer.

Pour votre information et je l’écris en connaissance de cause d’un proche parent, il faut se lever à 4 heures du matin, même en hiver, pour quelqu’un qui est arrivé sur le territoire français en situation régulière, pour faire la chaîne devant une préfecture tout en espérant, dès l’ouverture des portes à 8 heures du matin, décrocher un ticket afin d’accéder aux guichets. Les places sont limitées et si on n’y arrive pas à réussir à obtenir le sésame, il faut revenir le lendemain et retenter sa chance, sinon c’est rebelote !

Ah, si tous les problèmes se régleraient ainsi en un claquement des mains pour tous les administrés de l’humanité ! Sinon, cela reste toujours une loterie où de temps en temps, on tire au sort un heureux élu. Pour le moment, on ne va faire jouer à Mamoudou que le rôle qui lui est assigné de l’arbre qui dissimulera l’antichambre dans laquelle croupissent ses frères migrants jusqu’à ce que la chance puisse sourire un autre « 26 mai » à un providentiel prétendant, autrement c’est le retour à l’envoyeur de l’encombrante marchandise.

Pendant ce temps, son président de là-bas se mord les doigts d'avoir raté une si précieuse carte électorale pour une éventuelle échéance mais son désormais président d'ici a sauté sur cette enviable occasion qui ne tombe pas du ciel aussi facilement. Peut-être qu'à cette allure des offres politiques, Mamoudou finirait par être nommé Général dans son ex-pays de là-bas qui pourrait lui changer de destin ou je parierais sur une sollicitation de partis politiques français en quête de résultats au scrutin, à être dans leurs prochaines listes électorales. On ne gaspille pas une si jolie tête qu’il faut absolument bonifier.

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