jeudi 11 décembre 2014

Bonheur des Algériens: fiction ou réalité ?

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Article publié le Jeudi 11 Décembre 2014 sur les colonnes du Quotidien d'Oran sur le lien suivant: http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5207164
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« De malheurs évités, le bonheur se compose.»
Jean Baptiste Alphonse Karr, romancier et journaliste français, [1808–1890].
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Pour une fois et c’est rare qu’une étude internationale soit favorable à l’Algérie.  Il n’est pas matériel mais immatériel. Il n’est pas concret mais, abstrait. Il est surtout volatil si jamais un malheur arrive subitement. Sa bourse est des plus aléatoires. Ça remonte et ça redescend brusquement. Comme la mort qui survient soudainement après la vie. Ou comme une élimination en coupe d’une compétition sportive qui met fin à une série de succès. Ou encore comme la perte d’un emploi après une faste période de plein-emploi. Il peut être éphémère comme il peut se prolonger mais, il peut disparaître à tout moment. Malheureusement il n’est pas durable sauf exceptionnelle situation. Vous l’avez peut-être deviné. Il s’agit tout bonnement du bonheur.

Le bonheur d’un être humain est en principe apparent sur son visage qui reste illuminé dès qu’il se réveille jusqu’à ce qu’il retrouve son lit. Cela lui génère des airs fredonnant toute la journée. Lorsqu’il est heureux, son moral est au beau fixe. Pas une saute d’humeur ne vient perturber sa paix. Il a toujours l’air agréable et les bonnes paroles qui suivent. Il est galant à souhait. Il déborde souvent d’une indescriptible joie intérieure. C’est quelqu’un qui attend sagement son tour dans une chaîne sans qu’il s’emporte dans une quelconque diatribe. Il conduit sagement sa bagnole et cède civiquement le passage au piéton. Son sourire est présent pour réparer tout éventuel dépassement de sa part. Mais la perception côté cour est différente de ce qu’on aperçoit côté jardin.
Est-ce qu’on peut jauger le bonheur chez un individu ? Existe-il des outils pour le mesurer ? Est-ce qu’on peut donner une note pour l’évaluer ? Est-ce qu’on peut le classifier ? Il va de soi que cela dépend de chaque individu. Le bonheur est difficile à le déceler, car il est intime, caché dans le cœur. On peut estimer que c’est comme la foi chez un croyant. Il ne peut qu’être subjectif. Il est autant relatif. Un bonheur ne s’acquiert pas, il se construit au fil du temps. Est-ce que le bonheur collectif d’un pays est-il la sommation des bonheurs individuels de chacun des éléments de la société ? Ce n’est pas évident de le quantifier.     
Justement, différentes organisations internationales tentent depuis quelques années de se spécialiser en jaugeant le bonheur d’un pays à travers différents paramètres tangibles qu’ils introduisent dans une formule magique dont ils ont le secret pour détecter cet indice impalpable qu’est le bonheur. Le dernier en date est celui d’un think-thank (un laboratoire d’idées) britannique en l’occurrence : Happy Planet Index (HPI) qui mesure l’indice du bonheur de la planète) [1]. Cet organisme s’appuie dans ses calculs sur trois critères qu’il considère essentiels dans son approche à savoir l'empreinte écologique (pourcentage des espaces verts), l'espérance de vie moyenne du citoyen et le degré du bien-être général (noté sur une échelle de 1 à 10). Les résultats obtenus sont très surprenants à plus d’un titre.
Ainsi, l’Algérie se classe à la miraculeuse et très enviable 26e place mondiale. Elle est la première en Afrique devant la Tunisie (39e) et le Maroc (42e) et également leader du monde arabe juste devant la Jordanie (27e) suivie de la Palestine (30e) et de l’Irak (36e) et plus loin de la Syrie (47e). Dans le monde musulman, c’est le Bangladesh (11e) qui se hisse à la première position talonnée de près par l’Indonésie (14e) et le Pakistan (16e) qui devancent de plusieurs longueurs la Turquie (44e) et l’Arabie Saoudite (54e). Quant au Koweït (143e), le Bahreïn (146e) et le Qatar (149e), ils occupent comme vous le constatez la queue du peloton ! Il faut noter que c’est le Botswana qui ferme la marche  au 151e rang.
Néanmoins, ce classement comporte d’énormes anomalies à moins que ses concepteurs se soient trompés de jugements. En effet, il est difficilement admis pour un Algérien en général, si l’on se fie aux commentaires sur les sites algériens, de croire que son pays est respectivement mieux loti que la Nouvelle Zélande (28e), la Norvège (29e), la Suisse (34e), le Royaume uni (41e), le Japon (45e), l’Allemagne (46e), l’Autriche (48e), la France (50e), l’Italie (51e), la Suède (52e), l’Espagne (62e), la Corée du sud (63e), le Canada (64e), les Pays bas (66e), la Finlande (70e), l’Australie (76e), les Usa (105e),  la Belgique (107e), le Danemark (111e) et le Luxembourg (138e). Excusez du peu.
Si l’on croirait à cette plaisanterie comme l’ont qualifiée certains blogueurs sur le net, ce ne sont plus les algériens qui se pointeraient désormais durant des heures avec un dossier très fourni sous les bras devant les consulats européens pour quémander un visa pour aller chercher le paradis sous d’autres cieux plus cléments du nord. Au contraire, c’est donc à notre pays d’imposer des conditions draconiennes pour qu’on vienne chez nous de loin, goûter à notre bonheur national dans lequel on baigne. Un petit tour dans une de nos administrations les ferait regretter toute leur vie d’avoir cru à ce canular. Ce n’est donc pas à la gouvernance régnante que l’on doit cette place. Il faut chercher la recette ailleurs.  
Est-il concevable que Djibouti (106e) s’incruste entre les Usa et la Belgique ? Les frères palestiniens de Ghaza qui vivent dans une prison à ciel ouvert, avec l’une des plus fortes densités humaines au monde et dans la misère la plus totale, sont-ils plus heureux que les 4/5 des états de ce monde ? Est-il normal que l’Irak et la Syrie, des pays en guerre totale depuis plusieurs années, soient plus satisfaits que les 2/3 des pays de la planète à moins que l’instabilité et les bombes soient synonymes de la rencontre de la distraction ?  Est-il logique que le Bangladesh, l’un des pays les plus pauvres, rate d’un cheveu le top 10 des pays qui baignent dans la félicité absolue ? Est-il croyable que les Luxembourgeois et les Qataris, qui disposent des deux plus élevés PIB (Poids Intérieur Brut) par tête d’habitant au monde, soient presque les cancres de la classe ?  Certes l’argent ne fait pas le bonheur mais, en aucun cas le malheur ne le produit.   
Déjà, le rapport de 2013 du réseau pour des solutions de développement durable des Nations Unis [2] sur l’indice du bonheur dans le monde, était considéré comme une blague [3].Pourtant, ce rapport situait l’Algérie à la 73e place, soit 47 places plus lointaines que celui de HPI. Suivaient par ordre croissant la Libye (78e), le Maroc (99e), la Tunisie (104e), la Mauritanie (112e) et l’Egypte (130e). On constate que celui-ci me semble-t-il était plus fiable par rapport au britannique. Les Nations Unis ne se contentent pas uniquement de facteurs restreints comme HPI. En effet, ils utilisent le PIB par tête d’habitant, l’espérance de vie ou encore l’absence de corruption. Par ailleurs, ils affinent leurs résultats par d’autres variables comme la paix, la sécurité, la liberté, la démocratie, le respect des droits de l’homme, la qualité de vie, la recherche, la formation, l’information, la communication et la culture. 
L’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) [4] mesure quant à elle également l’indice mais, celui du bien-être de chacun des 34 pays membres auxquels s’ajoutent ceux de deux pays du Brics (*), le Brésil et la Russie. Il est effectué à partir de sondages Online des populations respectives des états qui la composent.  Cet indicateur est obtenu à partir de 11 questions : le logement, le revenu, l’emploi, les liens sociaux, l’éducation, l’environnement, l’engagement civique, la santé, la satisfaction, la sécurité et l’équilibre travail-vie.

La question qui me taraude les méninges et à laquelle je n’ai pas eu de réponses, d’où est-ce que vient alors le bonheur dont nous, gratifie l’institut britannique ? Une idée m’est alors venue d’aller tripoter sur internet pour tenter de dénicher le mystère qui rend heureux mes compatriotes. Lorsqu’on va sur Google pour chercher les causes de ce bonheur en tapant : bonheur+Algérie, on obtient 1 030 000 résultats. Les premiers ont le plus souvent des connexions avec les effets du football et leurs conséquences sur la joie immense des Algériens. C’est donc cela qui booste le miracle de ce bonheur. Les algériens par la grâce du ballon rond ont passé effectivement de merveilleux moments avec cette liesse collective depuis la qualification en novembre 2013 jusqu’à la mi-juillet 2014. Et cela va encore durer.

Mais le début de la dégringolade des prix du baril [5] du pétrole qui a frôlé la barre des 63 dollars en cette journée du 09 décembre 2014, risque de gâcher la sérénité rentière ambiante. Il ne faut plus uniquement guetter la parution mensuelle du classement de la Fifa (fédération internationale du football) mais garder l’œil en permanence sur notre gagne-pain depuis l’indépendance. En six mois, le baril a perdu plus de 40 % de sa valeur et ça continue à baisser à moins d’un événement favorable dans le monde. Le prix actuel est celui d’il y a cinq années où on remontait le cours. Aujourd’hui, c’est la descente qui ne semble rien le freiner dans sa chute. Pour la première fois aussi, le gouvernement a commencé à puiser dans le FFR (Fond de Régulation des Recettes) [6], créé en 2000 et alimenté par la fiscalité pétrolière non budgétisée, en quelque sorte une boîte noire. Si on y a touché, c’est dans le but de maintenir le même train de vie de ces années de vaches grâces.

Le pays entreprend ainsi à croquer de ses économies. Tout cela n’augure en rien de bon pour les jours heureux de la cigale. Souhaitons que le pays puisse amortir le choc si un malheur nous surgirait. Les experts ne cessent depuis des années à alerter l’opinion et les autorités sur la dangerosité de la politique économique actuelle. Lorsqu’on sait que toute  cette économie dépend presque totalement des recettes pétrolières, des sueurs froides vous envahissent et vous glacent le corps. Avec un ventre creux, toutes les victoires du foot de surcroît, couronnées d’une hypothétique coupe d’Afrique seraient vaines à effacer nos inquiétudes de l’avenir. Comme le dit si bien l’adage populaire : C’est lorsque le ventre n’a plus faim qu’il demande alors à la tête de chanter.
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Notes :
 (*) Brics : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud
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Place
Pays
Note HPI
Place
Pays
Note HPI
1
Costa Rica
64.0
50
France
46.5
2
Vietnam
60.4
51
Italie
46.4
3
Colombie
59.8
52
Suède
46.2
9
Venezuela
56.9
54
Arabie S.
46.0
10
Guatemala
56.9
62
Espagne
44.1
11
Bangladesh
56.3
63
Corée
43.8
12
Cuba
56.2
64
Canada
43.6
15
Israël
55.2
66
Pays bas
43.1
18
Albanie
54.1
68
Yémen
43.0
22
Brésil
52.9
69
Liban
42.9
26
Algérie
52.2
70
Finlande
42.7
27
Jordanie
51.7
76
Australie
42.0
28
N. Zélande
51.6
81
Libye
40.8
29
Norvège
51.4
84
Grèce
40.5
30
Palestine
51.2
91
Egypte
39.6
34
Suisse
50.3
101
Soudan
37.6
36
Irak
49.2
105
Usa
37.3
39
Tunisie
48.3
106
Djibouti
37.2
41
Royaume U.
47.9
107
Belgique
37.1
42
Maroc
47.9
111
Danemark
36.6
44
Turquie
47.6
129
Émirats A. U.
31.8
45
Japon
47.5
143
Koweït
27.1
46
Allemagne
47.2
146
Bahreïn
26.6
47
Syrie
47.1
149
Qatar
25.2
48
Autriche
47.1
151
Botswana
22.6

Tableau-Notes HPI de quelques pays.

jeudi 23 octobre 2014

L’information, ce nerf de la guerre.

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Article publié le Dimanche 17 Novembre 2014 sur les colonnes du Quotidien d'Oran sur le lien suivant: http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5206147
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Avec l’éclosion d’internet et surtout la floraison des réseaux sociaux, Facebook en particulier dans le pays, l’information est actuellement diffusée à la célérité de la lumière. Tu peux être informé plus vite que le ministre de l’information de ton pays si une nouvelle est balancée aussitôt sur la toile et que tu sois au même moment connecté ou reçois une alerte instantanée si tu es abonné. C’est inimaginable ! Cela aurait été impossible, il y a quelques années. Si on nous parlait de cette extraordinaire percée, personne n’y aurait cru. C’eût été de la science fiction.

Et pourtant, ce qui nous arrive, se passe dans un monde bien réel. Ou l’on suit le train ou l’on reste en retard sur le quai. Tu vis dans l’ère de la mondialisation dont tu ne peux rien dissimuler. On est surveillé H24 par les satellites qui tournent autour de nos têtes. Les rues de chacune de nos villes sont photographiées tous les jours et actualisées sur Google Earth et que n’importe quelque être à travers le monde peut les consulter à sa guise d’un seul clic de son doigt. Ta maison est donc visitée à chaque seconde de la journée sans aucune tape à la porte ni un permis de perquisition. Alors que sur terre, dans ce pays, on continue à te proscrire de prendre en photo un édifice public pour cause d’interdiction par mesure sécuritaire. Reste-t-il encore un angle qui n’est pas connu par les puissances qui règnent sur terre, mer et ciel de par leur envahissante technologie ?

Tes moindres gestes sont épiés. Si tu oses dénoncer ce voyeurisme à grande échelle, tu es vite mis à l’index. La souveraineté n’est que partiellement acquise. Elle est malmenée tous les jours sans que tu puisses te défendre. C’est la loi du plus fort qui domine de par sa voix hautaine et déterminée. La tienne est inaudible. Elle est complètement écrasée, voire écrabouillée. Couper internet est vu par les puissants pays conquérants comme une entrave à la liberté de s’informer. On n’y peut rien à force de traîner dans le bas du classement. Ce sont aussi les conséquences de nos politiques désastreuses qui ne prévoient rien à l’horizon en regardant juste autour des pieds. À force d’interdictions, c’est le revers de la médaille qu’on découvre au bout du compte. Toutes les censures sautent les unes derrières les autres sans que l’on n’y puisse réagir. On est soumis au diktat de celui qui fait le monde actuellement. À force de subir,  l’on est complètement figé. On est emporté par le tourbillon en se noyant davantage.

Cette percée du web a donc tout changé, presque bouleversé tout le paysage de la communication dans le monde. Avec l’arrivée de la technologie 3G, aucun point du pays ne peut y échapper. On comprend bien maintenant pourquoi l’introduction de cette nouvelle technologie a été retardée. Mais on ne peut affronter la technologie qu’avec les mêmes armes. On est vite soumis. Avec le développement inouï des Tic, demain, on n’aura certainement pas besoin d’agrément pour se brancher. À partir de ton Smartphone, tu deviens le centre d’intérêt du monde si tu émets une information originale. La plus petite, soit-elle, sera enflée au fur et à mesure du temps en parcourant des milliers de kilomètres à la seconde. En une fraction, elle ferait déjà plus d’un tour du globe. Rien ne pourrait arrêter son ascension. C’est incroyable ce qu’un pays ne peut plus maîtriser comme diffusion de l’information sauf bien sûr les Usa qui l’ont créée dans un but d’asseoir leur supériorité et en même temps de collecter, de colossales données à travers la planète qui l’ont façonnée aux dimensions d’un petit village.

Chaque internaute est devenu un point qui consulte, lit et diffuse à tout instant tout ce qu’il passe à travers son compte. Il devient un acteur de l’information. Je serai tenté de dire qu’il en est un élément de ces millions de ses anonymes soldats. Chaque pion est un point essentiel et important de cette toile d’araignée qui a tissé tout doucement ses fils à travers les êtres humains de la terre. Il y a des pays qui travaillent sur le long terme tandis que d’autres en consentent.
Qu’elle semble lointaine l’époque de Boumediene. On ne saurait jamais ce qu’il adopterait comme position s’il était toujours de son vivant. Le seul moyen de s’informer d’alors, furent les journaux étatiques, les quotidiens El-Moudjahid et Echaâb à l’échelle nationale. Au niveau régional, c’étaient La République à l’ouest et Ennasr à l’est. Il y avait aussi deux hebdomadaires, Révolution Africaine, l’organe du parti (Il faut comprendre le Fln) ou le fameux Algérie-Actualité. On attendait sagement le matin pour s’acheter ces éditions où les éditoriaux suivaient à la lettre la politique prônée. Aucune phrase mal placée ou un mot banni même entre les lignes ne furent tolérés. Tout était tamisé, de la Une jusqu’à la dernière page sportive et entre elles, celle de la nécrologie. On devait sacraliser le régime du matin au soir et où la plus petite des contradictions ne s’exprimait. C’est vrai que le pays sortait à peine du joug colonialiste et c’était peut-être la seule politique en vogue et au vu des circonstances historiques de la bipolarisation mondiale avec un monde divisé en deux principaux camps.
De deux choses l’une, ou bien suivre la voie du monde occidental dont était issue la France coloniale, chose impensable et inconcevable en 62, ou le choix d’opter pour la politique socialiste qui a été épousée pratiquement par tous les peuples qui jouissaient de leur indépendance.  Aucune autre voie n’émergeait, mis à part ces deux choix. C’est comme si c’était deux mondialisations mais farouchement opposées. Tu ne dois pas être neutre, ou bien tu es avec le premier et tes ennemis, ce sont les autres ou vice-versa. Le socialisme dans lequel bernait l’Algérie, et le communisme dans sa version extrême, n’admettaient aucune autre pensée, toute liberté d’expression était étouffée. Tout le monde devait réfléchir dans le sens de la pensée unique.
Même le silence était complice. Quant aux opposants, ils devaient disparaître à jamais du champ visuel, en croupissant dans les geôles ou en sauvant leur peau dans l’exil à jamais même si on a été un des anciens guides de la révolution à l’instar de Boudiaf ou d’Aït Ahmed. Alors, oser parler en évoquant le contraire, tu devais ne faire confiance même à ta propre ombre. C’est donc dans ces conditions que l’information avait vécues avec toutes ces contradictions. Tu devrais tourner ta langue deux fois avant de prononcer un seul petit mot. Les sorties du territoire national étaient délivrées par les chefs de daïra au compte-goutte par la crainte de la contamination étrangère et cette liberté d’expression.
Le JT de la RTA s’ouvrait sur les activités du président du conseil, ensuite sur ses ministres et enfin des reportages sur le terrain. On était aux anges lorsqu’on parlait de ton village et enfin la dénonciation de la politique impérialiste américaine des citoyens d’un village aux fins fonds du pays. C’était là l’expression du nif des algériens qui semblaient vivre dans un autre monde. Quarante années après, la réalité nous a rattrapés. On découvre que le monde dans lequel on avait rêvé n’existe plus. Il a disparu et enterré toutes ses aspirations avec lui. Tout a une fin, malheureusement.

Vint ensuite Chadli et ses réformes comme président fraîchement installé. On commençait un peu à délier la langue. Au point de vue de la circulation de l’information, les choses incitaient à bouger. On autorisait des journaux étrangers à y entrer au pays, principalement francophones, mais les ciseaux étaient toujours là à veiller. Au niveau local, l’hebdomadaire Algérie-Actualité était un fleuron en la matière. De belles plumes faisaient alors leurs apparitions. Ils ne crachaient pas dans la soupe, mais touchaient là où ça faisait mal. Chaque fin de semaine, on attendait inlassablement le nouveau numéro que l’on avalait d’un seul trait. On assouvissait notre manque d’analyses concrètes qui sortaient de l’ordinaire ambiant.

Une brèche s’était ouverte et qu’il fallait exploiter et ne cessait de pousser jusqu’à l’explosion d’octobre 88. Là, tout s’était envolé en éclats. Les réformes arrivaient à toute vitesse, accélérées par le mouvement sur le terrain. Des journaux, disons libres par rapport à la ligne officielle, voyaient le jour dès l’automne 1990. L’avènement du Soir d’Algérie était un événement extraordinaire. On l’attendait tous les soirs avec ses nouvelles très fraîches. Il se vendait comme de petits pains. On faisait la queue pour l’acquérir et le lire ensuite à la maison avant de se coucher. D’autres journaux suivaient le même itinéraire.

Les ventes ne pouvaient suffire à elles seules. Pour s’implanter dans la durée au sein du champ de la presse écrite, la manne publicitaire de l’Anep amortissait toutes les charges. C’était aussi une épée de Damoclès qui pesait sur la tête de ces journaux de cette ère nouvelle. Jusqu’à ce jour, ces journaux, comme il est rapporté dans les médias, comme l’exemple d’El-Khabar, pour ne pas citer que celui-là, subissent la politique des deux poids, deux mesures afin d’infléchir sa ligne éditoriale ou de le voir disparaître à jamais, ce nerf de la guerre. Quant aux journaux officiels, ils seraient depuis assez longtemps morts si ce n’étaient pas les subventions du trésor public et les rentrées publicitaires qui les maintiennent toujours en vie. Je peux aisément compter sur les doigts de la main en combien de fois, depuis 35 ans, j’ai acheté de numéros de ces journaux, que je dirais, sont dans le coma.

Malgré ces procédés d’un temps révolu, la circulation de l’information gagne du terrain de jour en jour. Les réseaux sociaux n’arrêtent pas de progresser, de grignoter tous les îlots  infranchissables. Selon une étude datant de juin dernier, l’Algérie compte à peu près sept millions de facebookiens sans compter la totalité des internautes [*]. Les jeunes de moins de 30 ans représentent les trois quarts de ce chiffre. Durant les cinq premiers mois de cette année, c’est un million de nouveaux utilisateurs qui se sont inscrits sur ce réseau. Facebook devient ainsi le meilleur moyen de s’informer. De plus, on peut choisit ses sources à sa convenance.

L’exemple des manifestations des forces de la police à Ghardaïa et à Alger durant ces deux jours, qui sont un évènement unique en soi, ont été suivies donc par tout ce monde invisible et leur entourage minute par minute tandis que le JT de l’ENTV de 20h continue son bonhomme de chemin comme si de rien n’était. Une guerre de l’information se déroule sous nos yeux, mais la télévision publique ne veut pas sortir de sa torpeur en se croyant être toujours le nombril du pays.     
  


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