lundi 6 février 2017

L’antique Mina, ancêtre de Relizane la contemporaine

Je me rappelle lors d’un long séjour en France plus exactement dans la région Rhône-Alpes à Lyon, il y avait une place qui se trouvait sur le plateau de la croix-rousse, et qui se nommait place du « Gros caillou ». Du nom d'un gros rocher, dont l’analyse chimique laisse à croire qu’il provient des montagnes des Alpes et qui a été trouvé au milieu du XIXe siècle lors du percement d’un tronçon de l’ancêtre du métro moderne de la capitale des gaules.

Tout le monde l’appelait ainsi et connaissait parfaitement son emplacement. C’était même un objet de curiosité touristique où les visiteurs se prenaient fièrement en photo à côté de ce caillou un peu plus haut que la taille d’un adulte être humain. Quant aux petits enfants, accompagnés de leurs parents, ils venaient souvent pour jouer et s’agglutiner en l’escaladant comme pour se vanter auprès de leurs camarades qu’ils étaient parvenus à toucher le sommet. Les écoliers le visitaient aussi en groupe tout en écoutant studieusement leurs profs leur retracer l’historique de cette grosse pierre qui n’a rien de grandeur mais valorisée à sa juste valeur comparativement à nos sites archéologiques quoique plusieurs fois séculaires.

Pourtant les endroits touristiques dans la ville des gaules ne manquaient pas. Il suffisait de consulter le guide de la ville pour s’apercevoir de la richesse culturelle de la région dans tous les domaines en premier lieu comme par exemple la cité des frères Lumière où le cinéma fût inventé, le théâtre romain des trois Gaules classé monument historique se trouvant juste en bas des pentes de la croix-rousse sans omettre la multitude de musées qui garnit la ville.

Ceci étant dit pour l’introduction au thème qu’on aborde ici et de ce qui se fait touristiquement de nos jours en Algérie et tous ces lieux inconnus ou délaissés, pour ne pas dire presque tombés à l’abandon ou carrément saccagés comme si ce pays ait oublié son histoire ou l’ait effacée à cause de l’inculture qui trône en maîtresse absolue. Il n’y a qu’à constater amèrement l’état déplorable de nombreux sites qui sont devenus, excusez du peu, de vrais pissoirs à l’exception de très rares singularités.
Dans un autre contexte, en cette belle journée printanière ensoleillée du samedi 3 mai 2014 et à environ une vingtaine de kilomètres de Paris, j’étais en route, en compagnie d’un ami dans sa voiture, en direction de la porte de Maillot vers la capitale française lorsque, soudain, j’apercevais de loin, en plein centre-ville de Saint-Germain-en-Laye, une grande affiche visible à environ cent cinquante mètres à la ronde et où l’on ne pouvait pas rater de lire le gros titre qui attirait fortement mon attention : « De Carthage à Mina » [Réf. 1] & [Image 1 ].

Image 1-Affiche de l’exposition de « Carthage à Mina » de Saint-Germain-en-Laye [Réf. 1].
Tout de suite, j’avais eu de fortes et profondes émotions. Une sensation de chair de poules m’avait subitement envahi. En effet, en ce qui concerne le nom de Mina, il ne pouvait s’agir que de l’ancienne appellation de l’époque romaine de l’antiquité de l’actuelle ville de Relizane en Algérie puisque l’oued qui longe la ville du sud au nord à la sortie ouest nous rappelle évidemment ce nom et dans lequel se trouve jusqu’à aujourd’hui en son plein milieu un vieux pont en état de disparition, appelé « pont romain ». Par ailleurs et en plein centre-ville, l’ancienne désignation de l’actuelle place de la résistance (Ex-Colonna d’Ornano) portait aussi cette antique appellation. Plus proche de nous, il n’y a pas assez longtemps, un nouvel hôtel fût pareillement érigé en son nom pour rappeler brièvement l’épopée romaine de la ville et aussi par le nom que porte l’équipe phare de foot de la ville à travers les lions de la Mina. Mais tout cela est très insuffisant pour l’exhumer de son sommeil profond.

Franchement, au début, je n’avais pas cru mes yeux. Si « Carthage », la cité romaine, était universellement connue et reconnue, c’est celle de « Mina » dont la taille de ses lettres est identique sur cette annonce à celle du mythique royaume d’Hannibal, qui faut-il le rappeler, est classé patrimoine mondial de l’Unesco. Ma curiosité s’est alors amplifiée et ma fierté d’appartenir à mon pays en général et à la ville de mon enfance en particulier s’est enorgueillie. L’ancêtre nom de ma ville était en haut de l’affiche dans cette terre étrangère mais malheureusement inexplorée dans son terroir.

Lorsque je constate amèrement de ce qu’on a fait et faisons actuellement de ce patrimoine deux fois millénaires, mon amertume, mon désarroi et ma tristesse ne cessent de s’amplifier davantage. Mis à part les quatre citations d’en haut qui évoquent l’existence de la cité romaine, rien, absolument rien, ne nous rappelle, qu’ici au sud de la ville actuelle, une cité prospère, ensevelie peut-être sous terre, avait existé durant environ 5 siècles, du Ier siècle avant Jésus-Christ jusqu’au début du VIe siècle, comme le rapporte le site en question [Réf. 2].

Je porte à la connaissance des lecteurs de ce papier que l’exposition présentée du 14 février au 28 avril 2014, durant donc 1 mois et demi, au Musée d'Archéologie Nationale et du Domaine National de Saint-Germain-en-Laye portait sur les collections de Paul Gauckler sur Carthage et d’Albert Pradel sur Mina. C’est le célèbre château de Saint-Germain-en-Laye [Réf. 3], ancienne résidence des rois de France, qui abrite le siège de ce musée depuis que Napoléon III en avait ainsi décidé en 1862 et fût inauguré en 1867. Louis XIV fût même né dans ce château et ait vécu jusqu’en 1682 avant de s’installer au fastueux château de Versailles situé à 13 kilomètres selon Google Maps.

Tiens ! Tiens ! Il s’agit bien de Napoléon III, ce même empereur, qui avait visité Relizane le 21 mai 1865 [Réf. 4] lors de sa seconde tournée en Algérie colonisée en y restant 6 bonnes heures à quelques 4 kilomètres seulement de la cité antique. Comme quoi, les événements se rejoignent et l’histoire s’invite encore en empruntant un autre raccourci et en rattrapant à son passage tout le monde. Il faut souligner qu’au temps de sa gloire, ce fameux château a été aussi le témoin de la signature de nombreux traités de paix et d'édits royaux.

Par ailleurs, en ne s’inquiétant moralement guère sur leurs origines, la direction du musée en question a vivement remercié, les deux filles d’Albert Pradel, en l’occurrence Christine Pradel-Gurevick et Catherine Pradel-Rouillard pour avoir offert en dons, en 2013, la collection exposée sur les vestiges de Mina, enrichissant considérablement le département d’archéologie [Réf. 2].

Je ne crois pas qu’on aurait entendu un jour parler de cette exposition qui concerne historiquement la présente ville de Relizane si ce n’était purement le fruit du hasard. Est-ce que les autorités consulaires algériennes en France étaient-elles au courant de cette manifestation culturelle ? À mon avis, elles devraient être concernées au moins de point de vue culturel surtout qu’il s’agit là du patrimoine du pays. Une heureuse coïncidence suis-je tenté de dire qui j’espère animerait le débat sur toutes ces pièces d’archéologie et d’art qui ont été subtilisées avant 1962 et qui se trouvent sur le sol français et qui devraient être un jour ou l’autre restituées au pays et dont il va falloir que les spécialistes en fassent l’inventaire dans tous les musées d’outre-méditerranée, les répertorier et les classifier. À titre d’exemple, en ce qui concerne Relizane, un livre écrit par un pied-noir montre des photos prises par  d’anciens colons sur les vestiges de Mina mais dont on ignore absolument ce qu’ils sont devenus.
En attendant l’éclosion de jours meilleurs, cela permettrait également de relancer les études sur l’importance des sites archéologiques dans le pays qui sont tombés en désuétude pour ne pas dire dans l’oubli presque total. Notre histoire continue malheureusement de s’écrire et de se narrer sans nous, nous ignorant et en nous rayant de plus en plus de ses œuvres.

Si cette exposition, payante dont l’entrée à plein tarif était fixée à 7 euros, ait été alors possible, c’est parce les organisateurs avaient sans doute estimé que le nom de Mina pourrait cohabiter aisément avec celui de Carthage et dont la renommée de cette dernière n’est nullement à démontrer. Comme le relève fièrement le site en question [Réf. 5], la collection de Pradel, est composée de (voir Images 2-3-4-5-6 ci-dessous) :

- 631 objets (en verre, en métal, en terre-cuite, des pièces de monnaie…),
- Une dizaine de céramiques sigillées gallo-romaines (13 exactement provenant des fouilles du site de Mina et dont l’origine émane de l’atelier ruthène de La Graufesenque (près de Millau dans le département de l’Aveyron en France),
- Près 70 lampes en terre cuite intactes,
- 163 pièces de monnaie et une très rare plaque-boucle d’époque vandale ornée de grenat (début du VIe siècle).

Image 2-Mobilier funéraire de la tombe d'un nouveau-né inhumé dans une amphore : vase à filtrer, biberon en forme d'oiseau, petit gobelet : sigillées claires africaines, provenant de Mina, IVe siècle après J.-C. collection Pradel (©MAN–V. Gô) [Réf. 5].

Image 3- Boucles et rare plaque-boucle de ceinture découvertes dans une sépulture d’époque vandale à Mina, début du VIe siècle après J.-C., collection Pradel (©Benoît Lafay) [Réf. 5].

Image 4- Lampe en terre cuite trouvée à Mina, représentant la déesse Luna, IIe siècle après J.‑C., collection Pradel (©RMNGP–MAN) [Réf. 5].


Image 5- Ensemble de pièces de monnaies découvertes à Mina. Au second plan, des lampes en terre cuite (©Benoît Lafay) [Réf. 5].

Image 6- Découverte à Mina, cette série de 13 céramiques sigillées du Ier siècle est l’œuvre d’un atelier de la Graufesenque, près de Millau, en Narbonnaise (Département de l’Aveyron, France) (©Benoît Lafay) [Réf. 5]. 

Il est à souligner que cette collection provenait de fouilles qui ont été effectuées dans les années 1950 au Praesidium Castellum de Mina.

Si nous nous sommes arrivés à cette déplorable situation, nous nous devons que se lamenter sur notre destin que nous continuons à hypothéquer de nos propres mains. Dépoussiérer en ce moment précis ce dossier, c’est uniquement dans le but de mobiliser les consciences les plus engagées et les bonnes volontés qui souffrent en leur for intérieur et qui ne savent pas par quoi démarrer tellement les choses se sont empirées et entrelacées.

D’autre part, il est utile de mentionner qu’à la date du 5 juillet 2009, et dans un article paru dans les colonnes du quotidien d’Oran [Réf. 6], une association locale avait déjà tiré la sonnette d’alarme pour exiger la prise en charge du site de Mina. Mais lorsqu’on examine le site à l’aide de Google Earth (Image 7 ci‑dessous), on constate aisément que le terrain, dont j’avoue ignorer ses limites réelles, n’arrête pas d’être grignoté. Dans le dernier en date, inévitablement une partie limitrophe a été certainement avalée par le béton pour les besoins de la construction d’un pont à proximité et l’élargissement d’une route à double circulation. On ne peut que se poser impatiemment la question si des associations, des experts de l’archéologie ou des chargés de la culture locale et nationale avaient été consultés à ce sujet et s’étaient-ils déplacés sur place, armés du plan du site, pour constater de visu et superviser les travaux à l’instar des pays affirmés. Ç’aurait été très grave si l’on avait agi par inconscience ou dans l’ambiance régnante de l’ignorance. 

Image 7- Site actuel de la cité antique Mina (Image Google Earth) :
(Latitude : 35°42’55 ‘’ N, Longitude : 0°34’07’’E, Altitude : 83 m).
Lorsqu’on passe à côté de l’endroit, on remarque qu’une plaque indiquant que la cité antique (Image 8 ) avait existé en ce lieu précis mais pour la faire respecter, cela dépendrait de la réunification de beaucoup de paramètres et la volonté de les appliquer.

Image 8- Plaque indiquant le site de l’antique Mina.

Il apparaît qu’à travers les appels de nombreuses voix soucieuses de la préservation de ce patrimoine historique, on commence quelque peu à prendre conscience de la nécessité de sa protection. En effet, des fouilles archéologiques sur le site en question ont été entamées il y a à peine 2 années dans le but de délimiter ses frontières ( ?) [Réf. 7]. C’est comme si on allait travailler pour la première fois à des fouilles à l’aveuglette. N’existe-t-il pas des archives pour s’y référer ? Dans cette perspective, une équipe de chercheurs  en recherches préhistoriques et anthropologiques a été dépêchée à Mina pour procéder à des fouilles et dont on ne connaît pas publiquement jusqu’à ce jour les résultats. On espère que ce n’était pas qu’un effet d’annonce de plus et que les autorités sont extrêmement sensibilisées pour suivre et accompagner le dossier jusqu’au bout avant que l’appétit des prédateurs de l’immobilier ne l’engloutisse à jamais.

On ne peut peut-être, pourquoi pas ? Que rêver d’un avenir culturel des plus florissants avec le projet d’un musée de la ville regroupant tous les vestiges de la région toutes périodes confondues, ceux du château romain Ksar el Kaoua (Ammi Moussa), ceux de Gadum (Djidiouia ex-Saint Aimé), ceux de Mina pour les ruines romaines, et tant d’autres à différentes époques s’il en reste encore quelque chose à trouver et revendiquer par la même occasion et par les voies les plus appropriées à récupérer de France et de Navarre tous les objets archéologiques inestimables et de valeurs historiques indéniables qui se sont volatilisés avant que le pays recouvre son indépendance. La consolidation d’un pays passe également par l’assemblage et la reconstitution de son vécu passé et lointain. Ce ne serait que réaliser un vieux pieu pour pérenniser l’histoire du pays.

Sources :

[Réf. 7] http://oran-aps.dz/spip.php?article18377


===========================================