mercredi 20 avril 2016

Du « sandouk ettadamoun* » d’hier à l’emprunt national d’aujourd’hui.

Par Mohammed Beghdad

“Ask not what your country can do for you, ask what you can do for your country”.

“Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays”.

John Fitzgerald Kennedy [1917-1963] (discours d’investiture du 20 Janvier 1961).
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Depuis presque une semaine, je me suis replongé dans la guerre d'Algérie en suivant presque tous les jours d’abondantes émissions spéciales sur la chaîne thématique française "Histoire", avec des images qui vous font vivre chronologiquement tous les évènements, tous les détails qui ont caractérisé cette héroïque révolution et qui est restée un exemple à suivre pour tous les colonisés en quête de liberté et de justice à travers le monde. Je me sens de plus en plus fier d’appartenir à ce pays qui a enfanté cette révolution qui a marqué d’une pierre blanche l’histoire du siècle dernier.

À chaque fois qu’on revisite cette période cruciale de l’avenir de notre pays, on mesure de plus en plus la grandeur de cette révolution qui ne s’était pas contentée de provoquer la chute de la 4ème république française mais de causer une crise profonde au sein de son armée, la 5ème puissante au monde, qui s’était parachevée par un coup d’état, inimaginable pour un pays membre du conseil de sécurité de l’Onu, commis par quatre de ses principaux généraux et non des moindres, partisans de l’Algérie française soutenus et poussés dans leurs aventures par les nostalgiques européens d’Algérie qui voulaient dans leur fuite en avant et leur bras armé l’Oas (Organisation armée secrète) mettre l’Algérie à feux et à sang en la laissant à genoux à leur départ précipité mais la détermination et la destinée des algériens était plus forte que jamais.

La proclamation de l’indépendance a été suivie durant de nombreux jours par d’immenses fêtes où c’était la liesse populaire légendaire dans tout le pays tandis que la course au pouvoir battait son plein avec la crise de l’été 62, sans aucune consultation de ce peuple, pourtant le principal héros de la guerre et détenteur de sa volonté, et où les frères de combat qui sortaient d’une longue lutte, s’étaient allés jusqu’à s’entretuer pour la prise d’Alger.

Heureusement que le cri profond du peuple, plein d’amertume et de chagrin avec son fameux appel : « Sept ans, ça suffit ! » qui avait mis fin provisoirement aux hostilités des uns et des autres. C’était la première blessure post-indépendance mais malgré cela, la solidarité des algériens qui voulaient mettre debout un pays digne et plein de promesses, mettaient promptement, sans aucune arrière pensée, la main à la poche en participant sans réticence aucune ni la moindre réserve au fameux « sandouk ettadamoun » pour renflouer les caisses de l’état, quasi-vides en 62, et faire démarrer le pays.

Ce geste généreux des algériens, faut-il le rappeler a été fait sans aucune contrepartie, prouvait à quel point ils étaient prêts à tous les sacrifices pour le progrès du pays pourtant ils étaient très pauvres à cette époque et donnaient tout ce qu’ils avaient en leur possession comme quincailleries précieuses en bijoux, en argent, en nature, etc…Ils le faisaient avec un amour profond et stimulés d’une confiance aveugle et totale en leurs dirigeants quoique ces derniers soient venus au pouvoir par un coup de force. En somme, ils ne souhaitaient pas que le colon d’hier se réjouissait de leurs divisions. Ils étaient toujours les héros contrairement à ceux qui avaient voulu faire parler les armes au détriment de la raison. Ils étaient également occupés à panser leurs blessures de 132 années de privation, d’avilissement, du dégradant second collège et de leur humiliant statut d’indigènes, d’êtres inférieurs.

L’important était de recouvrer sa liberté. C’était un autre consentement que de se taire devant cette légitimité usurpée par la force des armes et en totale contradiction avec le solennel appel du 1er Novembre 54. Ils faisaient spontanément la chaîne en longues processions pour offrir au pays leurs biens dans d’incroyables parades où ils se rivalisaient pour avoir la palme de la symbolique contribution au trésor public. Ils donnaient plus à leur pays qu’ils n’en recevaient rien au retour. Pour emprunter le titre d’un article que j’avais lu il y a quelques temps, ils considéraient l’Algérie comme une patrie à construire et non pas comme un butin de guerre à dévorer.

Après chaque épisode regardée presque pieusement sur la chaîne « Histoire », je me réveillais en sursauts de ma soucieuse méditation et suis transposé dans le temps à aujourd’hui, et je constate douloureusement ce que nous avons dilapidé du crédit révolutionnaire engrangé durant des années de lutte et qui n'a pas été fructifié au seul profit du pays à cause de la primauté des intérêts et des ambitions personnels des gouvernants qui se sont succédés à la tête du pays. Une preuve, ce qu'on a fait du FLN, qui était la bête noire du colonialisme. Il ne s’agit pas ici dans ce papier d’enfoncer le clou mais de tenter d’éveiller les consciences en sortant de la virtualité et en découvrant la réalité. Nous aurions pu soulever des montagnes si nous étions restés sur la ligne de 62 en mettant l'Algérie sur de bons rails et rejoindre aujourd'hui les pays qui étaient au même niveau que nous il y a plus d’un demi-siècle. Quels amers regrets !

Nous revenons à ces temps-ci où les algériens sont devenus beaucoup plus riches. Si les martyrs revenaient, ils ne croiraient pas leurs yeux. Je suis sûr que les algériens ont une qualité de vie, de loin meilleure que celle des richissimes colons d’hier. Mais elle n’est pas due à l’effort et au labeur. C’est grâce à la rente pétrolière qui a mis à nos trousses tous les prédateurs en quête de fortunes acquises brusquement et illicitement. Depuis que l’or noir est devenu le premier atout du pays, l’Algérie a arrosé tout son monde, ses courtisans en premier, dont les grosses parts leur étaient réservées pourvu qu’ils applaudissent constamment à tout va toute politique même si elle mène au suicide.

Avec la chute des prix du pétrole, la roue tourne maintenant en défaveur des finances du pays. Le gouvernement vient à cet effet de lancer l’opération de l’emprunt national pour éviter de recourir de contracter des dettes extérieures et ses conséquences désastreuses en cascade. Les trois lettres du Fmi sonnent toujours dans nos têtes comme une période effroyable que les algériens ne sont pas prêts d’oublier avec ses restrictions budgétaires qui freinent tout éventuel développement et sans omettre de souligner la menace permanente de la précaire paix sociale.

Pourtant, lorsqu’on passe devant une banque depuis que cet emprunt ait été lancé, on ne voit aucun engouement populaire aux alentours comme lors des mémorables masses de 63‑64, ni processions, ni chaînes, ni quoi que ce soit devant les institutions financières. Pourtant cet emprunt n’est pas gratuit, il est gratifié d’un attrayant taux d’intérêt allant jusqu’à plus de 5 %. On espère que durant les jours à venir, de riches souscripteurs nationalistes se manifesteraient.

On souhaite que ceux qui ont accumulé d’inimaginables capitaux grâce à l’octroi gré à gré de juteux contrats des marchés publics tels que l’autoroute, le bâtiment, l’industrie, l’agro-alimentaire, l’agriculture, la pêche, et j’en passe. Ceux qui se sont sucrés d’avantageux prêts bancaires, les importateurs des containers qui ont surfacturé les commandes et transférer des milliards de devises et en grossissant leurs comptes à l’étranger et qui sait, pour échapper au fisc, se sont permis d’ouvrir des comptes offshore dans les paradis fiscaux aux îles vierges britanniques, ceux qui par leurs positions dans la hiérarchie décisionnelle au sein du sérail ont amassé de grosses fortunes par les corrupteurs étrangers et locaux afin d’octroyer aux plus offrants les marchés des grandes entreprises publiques, et la liste est trop longue. Est-ce que tout ce beau monde va entendre le cri de souffrance du gouvernement ?

Le fait que l’emprunt national peut être non nominatif comme on nous l’a fait entendre, cela démontre que les caisses de l’état ont besoin de tout dinar même si son origine n’est pas identifiable. On s’en fout donc de sa provenance, pourvu qu’on y participe. L’économie de l’informel qui a vécu ses plus belles années sans payer le moindre centime aux impôts sont donc appelés à faire des efforts, eux qui ont baigné dans l’illégalité absolue.

On cherche à sauver le bateau Algérie des griffes des places financières internationales avec leur politique de redressement. Ceux qui se sont enrichis sur le dos de l’Algérie en engrangeant de colossales sommes non seulement en dinars et même en fortes devises, doivent se souvenir aujourd’hui qu’ils ont vécu durant longtemps à l’abri, dans l’opulence et le gaspillage. Ceux ont volé le pays lorsqu’il était riche doivent se le rappeler s’ils ont des remords à évacuer. S’ils ont un infime gramme de patriotisme, ils doivent dans un élan de secours le rendre et demander pardon à la nation. C’est une occasion salutaire pour se repentir et retrouver le droit chemin.

En 62, il n’y avait ni autant de journaux, ni de chaînes de télévisions pour venir en aide médiatiquement à leur jeune état. C’était le bouche à oreille qui avait formidablement et soulevé le peuple comme un seul homme dont seul l’intérêt du pays prévalait. Un appel du pays signifiait un ordre à appliquer sur le champ. Les algériens qui avaient connu l’indépendance ne savaient pas que l’Algérie allait connaître 15 dernières années fastes inondées de sous à gogo. Les uns disent que 800 milliards de dollars ont été dépensés, d’autres parlent de 1000 milliards. Aujourd’hui, avec toute cette armada de médias, l’appel de sauvetage des caisses de l’état semble pour le moment orphelin sauf un hypothétique sursaut.

S’il y aurait échec de cet endettement, l’histoire retiendrait que ceux qui ont profité des largesses des années de vaches grasses de l’Algérie auraient été les premiers à s’en être détournés d’elle lorsque les vaches maigres ont frappé soudainement à sa porte. J’espère que l’Algérie saurait se remémorer ceux qui seraient jugés similairement aux fuyards qui auraient déserté le combat en pleine guerre.

J’ai bien peur que ce seraient encore une fois, de modestes algériens avec leurs maigres économies ou par une politique austère qui entendraient l’appel de détresse et sauveraient la patrie l’Algérie du supplice du Fmi et du club de Paris malgré la méfiance qu’ils éprouvent plus fortement aujourd’hui qu’hier, vis-à-vis des gouvernants et leur mauvaise gouvernance, montrant ainsi que l’union pourrait encore faire la force. Ils savent que leur avenir et ceux de leurs enfants est à construire ici sur cette terre et qu’ils n’ont pas de pays de rechange comme certains qui se sont, par défiance, établis ailleurs, et ont placé en lieux sûrs leur fonds dont ils auront besoin le moment venu lorsque le pays tomberait en panne.

C’est mon vieux pieu que de voir le pays ne compter que sur les algériens les plus sincères et dévoués qui souffrent lorsque l’Algérie va mal et qui sauront relever tous les défis.

*: Caisse de solidarité.

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