jeudi 25 octobre 2012

Les Commandements du chef


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Article paru dans les colonnes du Quotidien d'Oran du Jeudi 25 Octobre 2012 que vous pouvez consulter également sur les liens suivants:
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Un futur chef est né pour être chef. Il ne sait pas quand mais cela dépendrait des raccourcis et des chemins tortueux qu’il va emprunter sans être détourné de son point d’atterrissage. Parfois, il l’acquiert par héritage, quelquefois par procuration ou par vocation, le plus couramment par cooptation, rarement par hiérarchie.

Dès son jeune âge, la graine du commandement se révèle en lui telle une prophétie qui lui prédirait la destinée royale dont il ne cesse de rêver depuis déjà embryon dans le ventre de sa maman. En se rapprochant de plus près de sa cible, les gênes de la chefferie résonnent en son intérieur et se développent exponentiellement en son sein. Il va utiliser tous les moyens catholiques ou non pour aboutir à ses pulsations. La voie est toute tracée pour la suivre jusqu'à son destin convertissant ainsi l‘imaginaire en réalité. Il est fait pour commander la plèbe, absolument pas pour supporter sa charge. Il est programmé pour être en haut de l’affiche, jamais de la vie en bas.

L’aplaventrisme est son sport favori. Il ne recule devant rien pour toucher le gros lot. Il est là pour durer le plus longtemps possible au sommet de l’escabeau tout en évitant tous les pièges inimaginables qui pourraient l’éjecter de son trône. Sa stratégie est de ne plus regarder vers le bas, les sourcils toujours dirigés vers les cieux. L’alternance est bannie de son vocabulaire étroit et limité. Pour ça, il est rusé et malin à la fois à atteindre son objectif. Il est capable de formater l’amitié d’un camarade d’enfance en passant sur son corps identiquement à un bulldozer. De toutes les façons, il n’a pas d’amis sauf ceux de circonstances dont il s’en débarrasse le moment venu, une fois usés et abusés. Ses ennemis et ses adversaires, on ne peut plus les compter sur son itinéraire à cause de ses combines non conformes ni académiciennes.

Avant d’accéder au poste supérieur de la responsabilité qui lui est pronostiquée, l’inconnu x doit d’abord commencer par se faire tout petit pour ne pas se faire remarquer comme un mauvais élève envers le garant qui devait le cautionner. Il doit être sage, surtout ne jamais le contrarier.
Sa revanche y est pour bientôt. Ce ne sont pas les compétences qu’on recherche en lui mais sa docilité et sa servilité envers son direct supérieur et dont ses prérogatives lui ont été depuis longtemps confisquées.

Il ne place pas un petit mot lorsque son grand chef prend la parole sauf si on le lui ordonnerait. Il l’utilise le plus souvent pour la mesquinerie et la brosse. Il doit être un « cheyatte » de première classe pour candidater à l’emploi visé. Il doit passer par le rôle du fou dans la cour pour amuser la galerie. Il doit aussi jouer le clown si le besoin l’exigeait. Il doit encenser son chef jusqu'à dépasser l’overdose, en le caressant constamment et infatigablement dans le sens du poil, jamais en contresens de son dessein.

En aucun cas, le postulant ne doit arrêter le chef de s’exprimer sinon c’est l’échafaud qui attendrait terriblement celui qui oserait le défier. Le courtisan est là pour l’écouter des heures et des heures sans broncher ni donner l’impression de se lasser. Il doit apprécier chaque mot, chaque phrase, chaque ponctuation comme dans un discours religieux. Il doit boire ses lettres prononcées comme une lotion magique qui doit le propulser pour un aller, sans retour, vers l’apogée. Il n’a pas le droit d’ouvrir le bec mais uniquement acquiescer de la tête et en ayant l’échine courbée. Il doit lui obéir matin et soir au doigt et à l’œil, toujours au garde-à-vous et les paupières grandes-ouvertes sans ne rien bouger. Il pourrait être appelé vers minuit ou deux heures du matin au chevet de son bienfaiteur sans oser broncher. Il doit être présent tous les jours pour sentir le moindre suspect et les infimes battements qui rôdent aux alentours. Il doit humer tous ses gestes en attendant que son heure ait sonné.

Il doit être l’œil et l’oreille du patron, lui rapportant immédiatement le plus insignifiant des ragots surtout sur ses adversaires qu’il doit les abattre un à un de son chemin. Il doit subir toutes les colères et les humiliations de son chef devant l’assistance proche ou en public. Il doit lui montrer promptement son total et indéfectible soutien lors d’un passage à vide qui lui surviendrait. Il doit jouer l’hypocrisie jusqu’à son passage au grade. L’essentiel est d’être patient dans l’antichambre du patron prêt à rugir aux moindres claquements des doigts. C’est aussi ça la rançon de la gloire qui l’attendrait au tournant.

En présence de son grand chef, il se comporte tel un toutou enchanteur mais en son absence, c’est un tout autre personnage. Il prend l’exemple de son chef pour les exercer à ceux d’en bas. Il doit sévir avec son gourdin à la main lorsque son grand manitou lui donne l’ordre de calmer les esprits chauffés. Il s’acharne sans réfléchir sur ses proies sans qu’aucun brin de sentiment ne l’envahisse. La quiétude et le repos de son employeur sont plus importants que tout autre remord, c’est son avenir et sa carrière qui seraient en jeu si jamais surgirait un mince pépin. Il doit montrer ses capacités à écraser les inférieurs et tout ce qui peut le déranger dans sa fulgurante ascension. Il doit les mater afin que leur écho n’arriverait nullement aux oreilles de son supérieur et le dérangerait dans son somme profond. Il est là pour veiller à sa tranquillité et au maintien de son règne et de sa suprématie.

Notre homme connait le système jusqu’aux bouts des ongles pour qui grâce à ses magiques recettes continue de s’éterniser. Il a bien compris ses rouages pour escalader vers les cimes. Le chef sait aussi favoriser les siens, son mot doit primer sur ceux des autres subalternes. Les subordonnés doivent se réjouir de toutes propositions du chef comme si elle sortait de la bouche d’un messie. Ils sont là pour s’abreuver sans pouvoir montrer la moindre répugnance des paroles du premier responsable du cartel. D’ailleurs, on ne vote jamais à bulletin secret lors des rares réunions, ils sont là pour approuver à l’unanimité les offres retenues à l’avance et décidées bien avant la tenue de la réunion. Ils sont ici que pour la forme à entériner les choses tramées dans son cabinet noirci et dont le fond est scellé dans l’ombre. Aucun débat contradictoire ne devrait être permis. Tout doit être extrêmement, en amont et en aval, verrouillé.

Nulle contestation dans le discours ne doit émaner du conseil. L’unanimisme est de toute rigueur. On ne vote même pas à mains levées mais lorsque le grand chef demande s’il y a objections, tout le monde baisse les yeux, ensuite la tête et finir pas s’aplatir sous la table en poussant plus loin les pieds. On ne peut affronter son maître les yeux dans les yeux. C’est un affront qui peut coûter très cher dans une fonction. Les autres petits responsables ne sont pas d’accord sur la prise des décisions qu'une fois sortis du conseil les bouches cousues et dehors l’air insatisfait mais pas une syllabe à l’intérieur du cagibi. Même si le chef confond secteur public et secteur privé, en utilisant les moyens publics pour ses proches et ses amis, nul ne doit souffler une quelconque perception. C’est normal, c’est le chef où tout doit être mis à son ordonnance. Il s’en sert comme il veut, comme il l’entend et à sa guise à profusion.

Ils chuchotent ou ils miment quelques mots incompréhensibles à un centimètre des tympans des uns des autres sans que l’on puisse saisir un seul mot aux environs. Mais là encore, attention les murs peuvent avoir des oreilles. Le grand chef dispose d’une ouïe très puissante dans les couloirs et les bureaux situés à l’extrême. Ses yeux sont aussi partout telles des caméras dissimulées dans tout le domaine. Ses pupitres scrutent tout mouvement suspect ou attroupement de plus d’une moitié de personne. On veille bien au grain tout éventuel marmonnement. On met au parfum les fidèles parmi les fidèles mais en catimini et dans le secret le plus total. C’est l’omerta partout ailleurs dans l’enceinte.

Il abuse de son pouvoir contre ceux qui ne partagent pas ses avis et sa catastrophique et unilatérale gouvernance. Il peut les écraser comme des mouches s’ils n’abdiqueraient pas en revenant à de meilleurs sentiments. Son glaive est là pour décapiter toutes les têtes qui dépasseraient le minimum requis. Aucun centimètre ne devrait déborder de ce niveau arbitraire. Il dispose du droit à la vie et à la mort de toute carrière prometteuse qui pourrait être brisée et la faire fuir du pays pour aller rejoindre la matière grise qui s’est exilée ou le cimetière des damnés. Flairant un fictif danger, il peut dépoussiérer tout dossier adverse et chercher le plus maigre indice pour l’éliminer de la course à la plus banale des responsabilités.

Seule la voix du maître doit résonner plus fortement dans la cour au détriment de ses rivaux qui ne recherchent que le débat contradictoire pour le bien du pays. Le propriété, c’est lui et lui, la propriété. C’est son bien pour l’éternité. Personne n’a droit de regard ce qu’il en fait de son budget qui part pour une partie non négligeable, sauf exception, dans le gaspillage, les collations et les repas aux multiples invités. Le carnet de chèque de la rente et du budget supplémentaire sont là pour pallier à toute désastreuse éventualité et soigner aisément les chiffres de fins d’années.

L’étranger de la boîte est accueilli à bras ouverts les fleurs à la main en offrandes de bienvenue, le café, le thé et les gâteaux en guide d’entrée suivis d’un déjeuner en aparté tandis que l’enfant de la maison est mis en quarantaine à 300 mètres à la ronde du siège de la direction, lui signifiant de dégager au plus loin possible du cercle interdit. Un pas de plus et ce sont les forces du maintien de l’ordre de la maison qui accourent de partout l’air irrité et désolé des ordres venus d’en-haut. Le grand parking est réservé à l’année pour le chef et à ses illustres conviés. Même s’il est désert, aucun véhicule ne peut accéder et qu’on se bouscule et se tasse dans celui destinée au reste des employés.

L’établissement devient une histoire de familles où l’on retrouve recrutés l’épouse, le fils et le gendre proche ou éloigné. Quant aux malheureux qui postulent par la voie normale ne comptant que sur les pièces de leurs dossiers, leurs compétences et leur qualité, ils doivent moisir avec leurs demandes qui périraient au fond du casier. En outre, les voitures de service se transforment en taxis familiaux les jours ouvrables ou les week-ends de repos. La secrétaire devient par défaut l’adjointe qui délivre toutes les mensonges à tout employé qui désire l’approcher ou le rencontrer.

Plus il ferme les règles du jeu et plus il peut durer à la tête de l’entreprise. Les choses bouillonnent à l’intérieur mais en apparence tout doit paraître anodin. Ce chef doit montrer à ces autres chefs que tout est bon chez lui et toute voix discordante est bâillonnée. Nul ne peut bouger et menacer son royaume tant qu’il est présent dans les lieux. Aucun incendie ne doit atteindre le haut, il devient le pompier de service par excellence. Tout doit être cloîtré au bas. Mais il a oublié qu’à la moindre secousse, ce système le fait sauter tel un fusible pour l’envoyer aux oubliettes comme ces prédécesseurs dont on a oublié aujourd’hui même les noms.

Il ne doit jamais démissionner quelles que soient les circonstances même si on ne veut plus de lui. S’il sent que le grand chef n’est plus satisfait de ses services, il doit faire l’impossible pour lui montrer son allégeance sans limites. Il y a même le surnom de Sidi qui lui est rajouté en sentant arriver toute proche la sentence. Même les cadeaux apportés à la maison de son chef ne peuvent plus le sauver. Son sort est déjà scellé. Le chef a déjà trouvé un autre remplaçant plus domestique que lui et lui promet même d’atteindre la lune s’il persévère dans cette allée. Il est parti mais il a trop de dossiers compromettants contre son chef qu’il va les utiliser pour négocier un hypothétique retour dans le giron. Le temps d’un passage à vide et le voilà recyclé, blanchi et revenu sur les rails pour finir sa carrière au zénith.

Allons continuer dans cette voie de la fuite en avant ou devons-nous changer de méthode pour aller de l’avant ? Nous allons contre un mur mais quand est-ce que devons-nous se réveiller ? Tout le monde fait semblant que tout marche pour le mieux mais lorsque vous descendez sur le terrain, c’est tout un autre discours opposé. C’est l’une des raisons de la faillite du pays dans le domaine des ressources humaines tant les responsables désignés n’osent jamais prendre des initiatives sans l’avis du patron qui doit émerger et veiller sur toutes les têtes assistées. Est-ce les hommes qualifiés qui manquent au pays ou est-ce notre système qui est défaillant ? Et si on passait à l’ère d’une réelle démocratisation ? C’est le seul remède que l’on évite mais c’est un passage obligé qui peut nous immuniser contre toutes les dérives incertaines.

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