jeudi 31 octobre 2013

Enseignement: Entre la qualité d’hier et la quantité d’aujourd’hui

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Supposons que les coopérants enseignants étrangers, qui particulièrement européens exerçaient dans le pays au cours des années 70, revenaient subitement sur leurs traces d’hier pour reprendre leur métier après au moins 40 années d’absence.

Que penseraient-ils alors du niveau actuel de nos lycéens et de nos étudiants notamment par rapport à l’ancien temps ou comparativement aux étudiants des universités européennes d’aujourd’hui ? Quoique les moyens matériels d’hier étaient totalement dérisoires. En tous les cas, je ne souhaiterais pas être en leur compagnie lorsqu’ils découvriront le traumatisme éducatif que nous subissons. Je me sentirais certainement tout minuscule et humilié, non pas par complexe d’infériorité mais de ce qu’on a fait de notre enseignement.

Et pourtant, les étudiants du lendemain de l’indépendance des années 70, n’avaient absolument accès aux livres qu’en salle de bibliothèque universitaire avec seulement 2 ou 3 exemplaires par spécialité pour un nombre dépassant 4 sections d’au moins 200 étudiants chacune, à titre d’exemple à l’université d’Oran. Il fallait tout le temps pister son camarade qui rendait le bouquin recherché pour l’emprunter de nouveau le temps de quelques heures uniquement tel  un trésor précieux. Les documents étaient dans un état d’usage avancé par la force d’être abondamment feuilletés. C’étaient de vraies archives à classer. La plupart des étudiants se contentaient uniquement des cours et des travaux dirigés dispensés lors des séances hebdomadaires. Il n’y avait ni photocopieuse miraculeuse ni documents illimités qui sont diffusés sur le Net avec tous genres de livres, des cours des prestigieuses universités mondialement connus, ou des célèbres lycées, téléchargeables à souhait. De nos jours, je parie qu’il existe au fin fond des étalages de nos bibliothèques universitaires des bouquins empoussiérés qui n’ont jamais été consultés depuis la nuit des temps.

Hier, le stylo marchait à merveille, on écrivait à la main du matin au soir tout en assimilant les cours prodigués. Il ne fallait louper aucun détail car la répétition était bannie. Les questions ridicules étaient presque taboues. Il fallait tourner sept fois sa langue avant de poser une question. On recopiait tout à la main tous les documents fournis par les camarades de classe du simple ancien sujet au moindre exercice de travaux dirigés qui passaient sous les yeux. Il est vrai qu’on était tous entraînés en se servant des punitions d’antan avec l’écriture de 100 fois en autant de fois, par exemple du type : « je ne parle plus en classe ».

Les fameux bordas étaient une denrée très rare. La première chose à visiter lorsqu’on descendait le week-end en ville était de faire le tour des librairies étatiques et privées où on n’avait aucun choix sauf pour les ouvrages soviétiques de couleur rouge des éditions Mir qui garnissaient à satiété les vitrines.  Ils n’avaient rien de pédagogique, rien à voir avec les livres des éditions européennes ou nord-américaines avec ces dessins et représentations à vous couper le souffle mais chers et inabordables pour notre condition de parents à la limite de la pauvreté. C’était une différence entre le jour et la nuit.

Pour le lycéen que j’étais, il fallait user de son temps pour dénicher un ancien sujet du baccalauréat sans son corrigé bien sûr ni les annales qui se trouvent de nos jours à chaque librairie du coin ou ceux publiés dans les journaux. Pour la préparation des examens, on naviguait aveuglément. Il n’y avait ni cours privés, ni de soutien. On se contentait de ce qu’on faisait en classe du jour avec il est vrai des enseignants pleinement dévoués à la noble cause. Il n’y avait ni triche, ni complaisance. La volonté et la motivation y étaient présentes pour vous maintenir dans cet état de constante mobilisation.

L’Algérie venait de sortir du joug du colonialisme et ses enfants avaient soif de l’apprentissage et du savoir. N’est-ce pas qu’une grande majorité des enfants de l’indépendance ont été auréolés de grands diplômes d’enseignants, d’ingénieurs, de médecins et de docteurs universitaires issus de familles rurales et totalement analphabètes ? Toutes les compétences algériennes qui font le bonheur des hôpitaux et des universités à l’étranger ne datent-elles pas pour leur grande majorité de cette période bénie ? N’était-ce pas un miracle cette extraordinaire progression ?  Passer du néant à cette sensationnelle situation en un laps de temps.

Est-ce que les étudiants tardaient à l’époque de reprendre le chemin de l’université que vers la fin d’octobre après avoir avalé le mouton de l’aïd sans qu’ils soient traduits en conseil de discipline pour être expulsés après avoir au moins raté le quart du volume horaire des enseignements semestriels sans que l’on crie au scandale ? Sauf en médecine où l’on dispose des étudiants les plus brillants et disciplinés principalement par la branche qui donne de meilleurs atouts pour l’avenir. 

Est-ce qu’il serait possible pour un enseignant universitaire d’aujourd’hui de noter par un zéro absolu en devoir surveillé un tiers d’une section d’étudiants en physique de première ou de seconde année du cycle des sciences exactes à l’instar de chez Monsieur Bernard Held en physique atomique et nucléaire à l’université d’Oran sans qu’il soit menacé d’être renvoyé ou accusé de blocage des étudiants par l’administration d’aujourd’hui ? Pourtant Monsieur Held ne tolérait jamais qu’un étudiant entre en salle après avoir fermé derrière soi la porte d’entrée de l’amphithéâtre, c’était un silence de mosquée lorsque le cours débutait à midi. Le repas était automatiquement sacrifié sans que l’on rouspétait ou revendiquait le changement d’emploi du temps dont on n’avait d’ailleurs aucun droit de regard. Est-ce que les étudiants d’alors qui étaient parmi les plus lumineux de l’époque en mathématiques oseraient-ils de remettre en question leurs notes si ce n’est de se remettre à travailler davantage ? On ne demandait jamais à consulter nos copies sauf si l’enseignant décidait de nous les montrer dans l’objectif de nous dévoiler nos lacunes. Alors oser demander un point supplémentaire à son enseignant était senti comme une véritable hérésie ou un blasphème qui ne passait absolument par votre esprit. Par ailleurs, on ne signait aucune pétition pour la remettre au doyen et partir avant les fêtes de l’aïd sans que l’on nous donnait une autorisation officielle, prétextant un manque de moyens de transport à ne rien avoir avec ceux des années 70 à 80 où c’était un parcours du combattant.

Plus les examens se rapprochaient et plus on redoublait d’effort à réviser. On remplaçait le dîner en resto U par une simple omelette ingurgité à la va-vite pour ensuite veiller tard le soir grâce à une tasse de café noir et être debout tôt le matin identiquement à un soldat en mission recommandé. Si tu ne travailles pas bien à un devoir surveillé, tu n’as droit à aucun examen de rattrapage ni de système de compensation. C’était le quitte ou double à prendre ou à laisser. On n’arrêtait pas de trembler avant la distribution des sujets le considérant comme étant le plus décisif de son parcours d’études. L’ami Abdelkader Kenniche ne cessait de supplier son camarade Khaled, qui s’assoyait à l’examen sur une table plus basse que lui,  de cesser de vibrer sinon il allait lui-même, par son influence à distance, entrer en résonance par la transmission de l’inévitable crainte en tremblant de tout son corps ! Ce fût un temps où les études étaient la chose la plus importante, un visa nécessaire et indispensable pour réussir dans la vie.

Il n’y avait ni téléphone portable, ni kit-mains, ni Bluetooth, ni le copier-coller pour leurrer. A la moindre fraude, te voilà expulsé de la salle en sortant tête baissée avec un zéro à la clé et une traduction en conseil de discipline sans aucun moyen de recours de reconsidérer les mesures prises à votre encontre où vous pouvez risquer l’exclusion de l’année ou encore plus pire sans aucun recours ni circonstances atténuantes ni encore moins une minime intervention. Ni grèves des étudiants, ni influence du directeur et de ses adjoints, ni pression de là-haut ni message des autorités, ne venaient déstabiliser les décisions indélébiles prises en toute âme et conscience selon la réglementation en vigueur et en toute liberté.

Actuellement, vous risquez l’arrêt et la barricade des entrées avec des portes cadenassées de toute l’université sans que les autorités n’interviennent pour mettre de l’ordre et de la discipline en faisant respecter la loi. Touche pas au désordre ! Il ne faut pas être la cause de l’effet de la boule de neige qui peut prendre forme à n’importe quel instant surtout si nous sommes à portée de mains des élections. Il faut attendre que les instructions atterrissent d’en haut ! Quand on ouvre des petites brèches, elles s’ouvrent continuellement en devenant des boulevards où tout le monde s’y engouffre à satiété. Le calice jusqu’à la lie a été bu ces derniers temps où on permet aux fraudeurs à la dernière session du baccalauréat cuvée 2013 d’avoir gain de cause après avoir revendiqué sans aucune pudeur que leurs sanctions soient revues à la baisse, en les épongeant telles les dettes financières publiques et privées ! Dîtes-moi S’il Vous Plait, mes chers lecteurs, qu’est-ce qu’on encourage à travers ces nouvelles dérives ?

Les valeurs ne se sont-elles pas malheureusement inversées ? Après trente années d’une carrière où vous assistez chaque jour sans résistance à une tendance vers le bas. Vos étudiants de l’année 1983 ne ressemblent en aucune manière, ni de près ni de loin, à ceux de 30 années plus tard. Pourtant, vous n’avez pas changé d’un iota si ce n’est l’expérience en plus doublée de la dégringolade en sus. Malgré cela, vous vous sentez être le centre de l’embarras si vous ne changerez point dans vos jugements. Vous vous sentez être le dernier maillon de la chaîne qui résiste tant bien que mal à ce déluge qui est en train de tout détruire sur son passage. Tous les responsables vous regardent de travers identiquement au dernier gardien du temple. Tôt ou tard, vous subissez le même sort que vos prédécesseurs. Le bulldozer va indéniablement écraser tout sur son passage.

Lorsque des étudiants d’aujourd’hui veulent imposer le choix les enseignants qui leur dispenseraient les cours de leurs cursus en recherchant par là à obtenir par tous les moyens le diplôme que le savoir et la connaissance, vous vous soupirez en souhaitant votre retraite anticipée. Peu importe les méthodes, l’important c’est le papier qui ouvre grandement la voie aux carences relevées.  N’est-il pas réel que toutes les structures de l’état en souffrent péniblement de la formation bâclée. Si vous remettez un zéro sur une copie d’examen, vous êtes remis à l’ordre mais si c’était un 20/20, tous les responsables vous regardent du bon œil car vous leur évitez les réprimandes du supérieur hiérarchique et d’une pierre deux coups avec le poste in extremis sauvé. Tu te dis : où va le pays comme certains ne cessent de le hurler sans que les consciences soient en mesure d’être écoutées car leurs voix sont écrasées et rendues inaudibles par le brouhaha de la médiocrité. De nombreux enseignants ont abandonné la lutte et ont jeté depuis longtemps l’éponge pour ne se consacrer qu’à leur carrière et à leur butin. Ils ne soucient guère de ce qu’il adviendra. Par leur silence, ils sont devenus l’allié par excellence de ce système.

Faut-il condamner ces étudiants ? Non !  C’est tout ce système, en particulier, qui est à proscrire en voulant faire de l’école et de l’université qu’une grande garderie, assistée mais éloignée de tous les enjeux et en marge de tous les défis qui attendent le pays. Entre la qualité d’hier et la quantité d’aujourd’hui, il faut faire le choix en associant les deux. Le populisme et la démagogie ne riment à rien et n’ont aucun avenir sauf, tôt ou tard, que le mur infranchissable à rencontrer.

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1 commentaire:

  1. Excellent papier, merci monsieur Beghded pour cette production intellectuelle et pédagogique titanesque.

    larbi_mehdi.

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